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mes vœux à ceux de mes compagnons de voyage. Les officiers étoient sur le château de poupe avec les passagers ; l’aumônier, un livre à la main, se tenoit un peu en avant d’eux ; les matelots étoient répandus pêle-mêle sur le tillac : nous étions tous debout, le visage tourné vers la proue du vaisseau, qui regardoit l’occident.

Le globe du soleil, prêt à se plonger dans les flots, apparaissoit entre les cordages du navire au milieu des espaces sans bornes. On eût dit, par les balancements de la poupe, que l’astre radieux changeoit à chaque instant d’horizon. Quelques nuages étoient jetés sans ordre dans l’orient, où la lune montoit avec lenteur ; le reste du ciel étoit pur : vers le nord, formant un glorieux triangle avec l’astre du jour et celui de la nuit, une trombe, brillante des couleurs du prisme, s’élevoit de la mer comme un pilier de cristal supportant la voûte du ciel.

Il eût été bien à plaindre, celui qui dans ce spectacle n’eût point reconnu la beauté de Dieu. Des larmes coulèrent malgré moi de mes paupières, lorsque mes compagnons, ôtant leur chapeau goudronné, vinrent à entonner d’une voix rauque leur simple cantique à Notre-Dame de Bon-Secours, patronne des mariniers. Qu’elle étoit touchante, la prière de ces hommes qui sur une planche fragile, au milieu de l’Océan, contemploient le soleil couchant sur les flots ! Comme elle alloit à l’âme, cette invocation du pauvre matelot à la Mère de Douleur ! La conscience de notre petitesse à la vue de l’infini, nos chants s’étendant au loin sur les vagues, la nuit s’approchant avec ses embûches, la merveille de notre vaisseau au milieu de tant de merveilles, un équipage religieux saisi d’admiration et de crainte, un prêtre auguste en prière, Dieu penché sur l’abîme, d’une main retenant le soleil aux portes de l’occident, de l’autre élevant la lune dans l’orient, et prêtant, à travers l’immensité, une oreille attentive à la voix de sa créature : voilà ce qu’on ne sauroit peindre, et ce que tout le cœur de l’homme suffit à peine pour sentir.

Passons à la scène terrestre.

Un soir je m’étais égaré dans une forêt, à quelque distance de la cataracte de Niagara ; bientôt je vis le jour s’éteindre autour de moi, et je goûtai, dans toute sa solitude, le beau spectacle d’une nuit dans les déserts du Nouveau Monde.

Une heure après le coucher du soleil la lune se montra au-dessus des arbres, à l’horizon opposé. Une brise embaumée, que cette reine des nuits amenoit de l’orient avec elle, sembloit la précéder dans les forêts, comme sa fraîche haleine. L’astre solitaire monta peu à peu dans le ciel : tantôt il suivoit paisiblement sa course azurée, tantôt il reposoit sur des groupes de nues qui ressembloient à la cime de hautes