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pas, et cependant il n’y a rien à craindre : chaste, intelligent, sensible, Behmot est doux parce qu’il est fort, paisible parce qu’il est puissant. Premier serviteur de l’homme, et non son esclave, il tient le second rang dans l’ordre de la création : après la chute originelle, les animaux s’éloignèrent du toit de l’homme ; mais on pourroit croire que les éléphants, naturellement généreux, se retirèrent avec le plus de regret, car ils sont toujours restés aux environs du berceau du monde. Ils sortent de temps en temps de leur désert, et s’avancent vers un pays habité, afin de remplacer leurs compagnons morts, sans se reproduire, au service des fils d’Adam[1].


CHAPITRE X.

Amphibies et Reptiles.



On trouve au pied des monts Apalaches, dans les Florides, des fontaines qu’on appelle puits naturels. Chaque puits est creusé au centre d’un monticule planté d’orangers, de chênes-verts et de catalpas. Ce monticule s’ouvre en forme de croissant, du côté de la savane, et un courant d’eau sort du puits par cette ouverture. Les arbres, en s’inclinant sur la fontaine, rendent sa surface toute noire au-dessous ; mais à l’endroit où le courant d’eau s’échappe de la base du cône, un rayon du jour, pénétrant par le lit du canal, tombe sur un seul point du miroir de la fontaine, qui imite l’effet de la glace dans la chambre obscure du peintre. Cette charmante retraite est ordinairement habitée par un énorme crocodile, qui se tient immobile au milieu

  1. Les plumes éloquentes qui ont décrit les mœurs de ces animaux nous dispensent de nous étendre sur ce sujet. Nous dirons seulement que les éléphants ne nous paroissent d’une structure si étrange que parce que nous les voyons séparés des végétaux, des sites, des eaux, des montagnes, des couleurs, de la lumière, des ombres et des cieux qui leur sont propres. Les productions de nos latitudes, mesurées sur une petite échelle, les formes généralement rondes des objets, la finesse de nos herbes, la dentelure légère de nos feuillages, l’élégance du port de nos arbres, nos jours trop pâles, nos nuits trop fraîches, les teintes trop fuyardes de nos verdures, enfin la couleur même, le vêtement, l’architecture de l’Européen, n’ont aucune concordance avec l’éléphant. Si les voyageurs observoient plus exactement, nous saurions comment ce quadrupède se marie à la nature qui le produit. Pour nous, nous croyons entrevoir quelques-unes de ces relations. La trompe de l’éléphant, par exemple, a des rapports marqués avec les cierges, les aloès, les lianes, les rotins, et dans le règne animal, avec les longs serpents des Indes ; ses oreilles sont taillées comme les feuilles du figuier oriental ; sa peau est écailleuse, molle, et pourtant rigide comme