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la réfutation qu’il en a faite et que nous avons encore. Lorsque Julien est sérieux, saint Cyrille triomphe du philosophe ; mais lorsque l’empereur a recours à l’ironie, le patriarche perd ses avantages. Le style de Julien est vif, animé, spirituel ; saint Cyrille s’emporte, il est bizarre, obscur et contourné. Depuis Julien jusqu’à Luther, l’Église, dans toute sa force, n’eut plus besoin d’apologistes. Quand le schisme d’Occident se forma, avec les nouveaux ennemis parurent de nouveaux défenseurs. Il le faut avouer, les protestants eurent d’abord la supériorité sur les catholiques, du moins par les formes, comme le remarque Montesquieu. Érasme même fut foible contre Luther, et Théodore de Bèze eut une légèreté de style qui manqua trop souvent à ses adversaires.

Mais, lorsque Bossuet descendit dans la carrière, la victoire ne demeura pas longtemps indécise ; l’hydre de l’hérésie fut de nouveau terrassée. L’Histoire des Variations et l’Exposition de la Doctrine catholique sont deux chefs-d’œuvre qui passeront à la postérité.

Il est naturel que le schisme mène à l’incrédulité, et que l’athéisme suive l’hérésie. Bayle et Spinoza s’élevèrent après Calvin ; ils trouvèrent dans Clarke et Leibnitz deux génies capables de réfuter leurs sophismes. Abbadie écrivit en faveur de la religion une apologie remarquable par la méthode et le raisonnement. Malheureusement le style en est foible, quoique les pensées n’y manquent pas d’un certain éclat. « Si les philosophes anciens, dit Abbadie, adoraient les vertus, ce n’étoit après tout qu’une belle idolâtrie. »

Tandis que l’Église triomphoit encore, déjà Voltaire faisoit renaître la persécution de Julien. Il eut l’art funeste, chez un peuple capricieux et aimable, de rendre l’incrédulité à la mode. Il enrôla tous les amours-propres dans cette ligue insensée ; la religion fut attaquée avec toutes les armes, depuis le pamphlet jusqu’à l’in-folio, depuis l’épigramme jusqu’au sophisme. Un livre religieux paroissoit-il, l’auteur étoit à l’instant couvert de ridicule, tandis qu’on portoit aux nues des ouvrages dont Voltaire étoit le premier à se moquer avec ses amis : il étoit si supérieur à ses disciples, qu’il ne pouvoit s’empêcher de rire quelquefois de leur enthousiasme irréligieux. Cependant le système destructeur alloit s’étendant sur la France. Il s’établissoit dans ces académies de province, qui ont été autant de foyers de mauvais goût et de factions. Des femmes de la société, de graves philosophes, avoient leurs chaires d’incrédulité. Enfin, il fut reconnu que le christianisme n’étoit qu’un système barbare, dont la chute ne pouvoit arriver trop tôt pour la liberté des hommes, le progrès des lumières, les douceurs de la vie et l’élégance des arts.