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CHAPITRE IX.

Quadrupèdes.



Les migrations sont plus fréquentes dans la classe des poissons et des oiseaux que dans celle des quadrupèdes, à cause de la multiplicité des premiers et de la facilité de leurs voyages à travers deux éléments qui enveloppent la terre ; il n’y a d’étonnant que la manière dont ils abordent, sans s’égarer, aux rivages qu’ils cherchent. On conçoit qu’un animal chassé par la faim abandonne le pays qu’il habite, en quête de nourriture et d’abri ; mais conçoit-on que la matière le fasse aller ici plutôt que , et le conduise, avec une exactitude miraculeuse, précisément au lieu où se trouvent cette nourriture et cet abri ? Pourquoi connoît-il les vents et les marées, les équinoxes et les solstices ? Nous ne doutons point que si les races voyageuses étoient un seul moment abandonnées à leur propre instinct, elles ne périssent presque toutes. Celles-ci, en voulant passer dans les latitudes froides, arriveroient sous les tropiques ; celles-là, en comptant se rendre à la ligne, se trouveraient sous le pôle. Nos rouge-gorge, au lieu de traverser l’Alsace et la Germanie, en cherchant de petits insectes, deviendroient eux-mêmes en Afrique la proie de quelque énorme scarabée ; le Groënlandois entendroit une plainte sortir des rochers et verroit un oiseau grisâtre chanter et mourir : ce seroit la pauvre Philomèle.

Dieu ne permet pas de pareilles méprises. Tout a ses convenances et ses rapports dans la nature : aux fleurs les zéphyrs, aux hivers les tempêtes, au cœur de l’homme la douleur. Les plus habiles pilotes manqueront longtemps le port désiré avant que le poisson se trompe sur la longitude du moindre des écueils de l’abîme : la Providence est son étoile polaire, et quelque part qu’il se dirige il aperçoit toujours cet astre, qui ne se couche jamais.

L’univers est comme une immense hôtellerie, où tout est en mouvement. On en voit sortir, on y voit entrer une multitude de voyageurs. Il n’y a peut-être rien de plus beau, dans les migrations des quadrupèdes, que les bisons à travers les savanes de la Louisiane et du Nouveau-Mexique. Quand le temps de changer de climat est venu, pour aller porter l’abondance à des peuples sauvages, quelque buffle, conducteur des troupeaux du désert, appelle autour de lui ses fils et ses filles. Le rendez-vous est au bord du Meschacebé ; l’instant de la