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l’hiver : elles ont leurs sentinelles et leurs gardes avancées ; souvent une corneille centenaire, antique sibylle du désert, se tient seule perchée sur un chêne avec lequel elle a vieilli : là, tandis que ses sœurs font silence, immobile et comme pleine de pensées, elle abandonne aux vents des monosyllabes prophétiques.

Il est remarquable que les sarcelles, les canards, les oies, les bécasses, les pluviers, les vanneaux, qui servent à notre nourriture, arrivent quand la terre est dépouillée, tandis que les oiseaux étrangers qui nous viennent dans la saison des fruits n’ont avec nous que des relations de plaisirs : ce sont des musiciens envoyés pour charmer nos banquets. Il en faut excepter quelques-uns, tels que la caille et le ramier, dont toutefois la chasse n’a lieu qu’après la récolte, et qui s’engraissent dans nos blés pour servir à notre table. Ainsi, les oiseaux du Nord sont la manne des aquilons, comme les rossignols sont les dons des zéphyrs : de quelque point de l’horizon que le vent souffle, il nous apporte un présent de la Providence.

CHAPITRE VIII.

Oiseaux des mers ; comment utiles à l’homme.
Que les migrations des oiseaux servoient de calendrier
aux laboureurs dans les anciens jours.



Les oies, les sarcelles, les canards, étant de race domestique, habitent partout où il peut y avoir des hommes. Les navigateurs ont trouvé des bataillons innombrables de ces oiseaux jusque sous le pôle antarctique et sur les côtes de la Nouvelle-Zélande. Nous en avons rencontré nous-même des milliers depuis le golfe Saint-Laurent jusqu’à la pointe de l’isthme de la Floride. Nous vîmes un jour aux Açores une compagnie de sarcelles bleues, que la lassitude contraignit de s’abattre sur un figuier. Cet arbre n’avoit point de feuilles, mais il portoit des fruits rouges enchaînés deux à deux comme des cristaux. Quand il fut couvert de cette nuée d’oiseaux, qui laissoient pendre leurs ailes fatiguées, il offrit un spectacle singulier : les fruits paroissoient d’une pourpre éclatante sur les rameaux ombragés, tandis que l’arbre, par un prodige, sembloit avoir poussé tout à coup un feuillage d’azur.

Les oiseaux de mer ont des lieux de rendez-vous, où ils semblent délibérer en commun des affaires de leur république : c’est ordinairement un écueil au milieu des flots. Nous allions souvent nous asseoir,