Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore en poussant un petit cri sauvage : elle se promène dans les fossés du château ; elle aime à se percher sur les armoiries sculptées dans les murs. Quand elle s’y tient immobile, on la prendroit, avec son plumage noir et le cachet blanc de sa tête, pour un oiseau en blason tombé de l’écu d’un ancien chevalier. Aux approches du printemps, elle se retire à des sources écartées. Une racine de saule minée par les eaux lui offre un asile ; elle s’y dérobe à tous les yeux. Le convolvulus, les mousses, les capillaires d’eau, suspendent devant son nid des draperies de verdure ; le cresson et la lentille lui fournissent une nourriture délicate ; l’eau murmure doucement à son oreille ; de beaux insectes occupent ses regards, et les naïades du ruisseau, pour mieux cacher cette jeune mère, plantent autour d’elle leurs quenouilles de roseaux, chargées d’une laine empourprée.

Parmi ces passagers de l’aquilon, il s’en trouve qui s’habituent à nos mœurs et refusent de retourner dans leur patrie : les uns, comme les compagnons d’Ulysse, sont captivés par la douceur de quelques fruits ; les autres, comme les déserteurs du vaisseau de Cook, sont séduits par des enchanteresses qui les retiennent dans leurs îles. Mais la plupart nous quittent après un séjour de quelques mois : ils s’attachent aux vents et aux tempêtes qui ternissent l’éclat des flots et leur livrent la proie qui leur échapperoit dans des eaux transparentes ; ils n’aiment que les retraites ignorées, et font le tour de la terre par un cercle de solitudes.

Ce n’est pas toujours en troupes que ces oiseaux visitent nos demeures. Quelquefois deux beaux étrangers, aussi blancs que la neige, arrivent avec les frimas : ils descendent au milieu des bruyères, dans un lieu découvert et dont on ne peut approcher sans être aperçu ; après quelques heures de repos, ils remontent sur les nuages. Vous courez à l’endroit d’où ils sont partis, et vous n’y trouvez que quelques plumes, seules marques de leur passage, que le vent a déjà dispersées. Heureux le favori des muses qui, comme le cygne, a quitté la terre sans y laisser d’autres débris et d’autres souvenirs que quelques plumes de ses ailes !

Des convenances pour les scènes de la nature, ou des rapports d’utilité pour l’homme, déterminent les différentes migrations des animaux. Les oiseaux qui paroissent dans les mois des tempêtes ont des voix tristes et des mœurs sauvages comme la saison qui les amène ; ils ne viennent point pour se faire entendre, mais pour écouter : il y a dans le sourd mugissement des bois quelque chose qui charme les oreilles. Les arbres qui balancent tristement leurs cimes dépouillées ne portent que de noires légions qui se sont associées pour passer