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vient s’abattre auprès d’un courant d’eau : là, résigné et solitaire, il attend tranquillement la mort au bord du même fleuve où il chanta ses amours et dont les arbres portent encore son nid et sa postérité harmonieuse.

C’est ici le lieu de remarquer une autre loi de la nature. Dans la classe des petits oiseaux, les œufs sont ordinairement peints d’une des couleurs dominantes du mâle. Le bouvreuil niche dans les aubépines, dans les groseilliers et dans les buissons de nos jardins : ses œufs sont ardoisés comme la chape de son dos. Nous nous rappelons avoir trouvé une fois un de ces nids dans un rosier ; il ressemblait à une conque de nacre contenant quatre perles bleues. Une rose pendoit au-dessus, tout humide ; le bouvreuil mâle se tenoit immobile sur un arbuste voisin, comme une fleur de pourpre et d’azur. Ces objets étoient répétés dans l’eau d’un étang avec l’ombrage d’un noyer, qui servoit de fond à la scène, et derrière lequel on voyoit se lever l’aurore. Dieu nous donna dans ce petit tableau une idée des grâces dont il a paré la nature.

Parmi les grands volatiles, la loi de la couleur des œufs varie. Nous soupçonnons qu’en général l’œuf est blanc chez les oiseaux où le mâle a plusieurs femelles, ou chez ceux dont le plumage n’a point de couleur fixe pour l’espèce. Dans les classes aquatiques et forestières, qui font leur nid les unes sur les mers, les autres dans la cime des arbres, l’œuf est communément d’un vert bleuâtre et pour ainsi dire teint des éléments dont il est environné. Certains oiseaux qui se cantonnent au haut des tours et dans les clochers ont des œufs verts comme les lierres[1] ou rougeâtres comme les maçonneries qu’ils habitent[2]. C’est donc une loi qui peut passer pour constante, que l’oiseau étale sur son œuf la livrée de ses amours et le symbole de ses mœurs et de ses destinées. On peut au seul aspect de ce monument fragile dire à peu près quel était le peuple auquel il a appartenu, quels étoient son costume, ses habitudes, ses goûts, s’il passoit des jours de danger sur les mers, ou si, plus heureux, il menoit une vie pastorale ; s’il étoit civilisé ou sauvage, habitant de la montagne ou de la vallée. L’antiquaire des forêts s’appuie sur une science moins équivoque que celle de l’antiquaire des cités : un chêne exfolié ou chargé de mousse annonce bien mieux celui qui lui donna la croissance qu’une colonne en ruine ne dit quel fut l’architecte qui l’éleva. Les tombeaux, parmi les hommes, sont les feuillets de leur histoire ; la nature, au contraire, n’imprime que sur la vie : il ne lui faut ni

  1. Le choucas, etc.
  2. La grande chevêche, etc.