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AVANT-PROPOS.

MARS 1831.


« Souvenez-vous , pour ne pas perdre de vue le train du monde, qu’à cette époque (la chute de l’empire romain) Il y avait des historiens qui fouillaient comme moi les archives du passé au milieu des ruines du présent, qui écrivaient les annales des anciennes révolutions au bruit des révolutions nouvelles ; eux et moi prenant pour table, dans l’édifice croulant, la pierre tombée a nos pieds, en attendant celle qui devait écraser nos têtes.» ( étude sixième, seconde partie.)

Je ne voudrais pas, pour ce qui me reste à vivre, recommencer les dix-huit mois qui viennent de s’écouler. On n’aura jamais une idée de la violence que je me suis faite ; j’ai été forcé d’abstraire mon esprit dix, douze et quinze heures par jour, de ce qui se passait autour de moi, pour me livrer puérilement à la composition d’un ouvrage dont personne ne parcourra une ligne. Qui lirait quatre gros volumes lorsqu’on a bien de la peine à lire le feuilleton d’une gazette ? J’écrivais l’histoire ancienne, et l’histoire moderne frappait à ma porte ; en vain je lui criais : « Attendez, je vais à vous. » Elle passait au bruit du canon, en emportant trois générations de rois. Et que le temps concorde heureusement avec la nature même de ces Études ! On abat les croix, on poursuit les prêtres ; et il est question de croix et de prêtres à toutes les pages de mon récit : on bannit les Capets, et je publie une histoire dont les Capets occupent huit siècles. Le plus long et le dernier travail de ma vie, celui qui m’a coûté le plus de recherches, de soins et d'années, celui où j’ai peut-être remué le plus d’idées et de faits, parait lorsqu’il ne peut trouver de lecteurs ; c’est comme si je le jetais dans un puits, où il va s’enfoncer sous l’amas des décombres qui le suivront. Quand une société se compose et se décompose, quand il y va de l'existence