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24 POLÉMIQUE. beaux, s’enthousiasmer pour les maximes républicaines, comme cet Athénien qui, s’asseyant au théâtre vide, applaudissoit aux acteurs absents, aux pièces qu’on ne donnoit pas. Aujourd’hui vous avez devant vous une vaste répubh’que de plus en plus florissante : sa population augmente chaque jour ; déjà elle s’avance vers l’océan Pacifique et va chercher la Russie sous les glaces du pôle. Là règne le principe de la souveraineté du peuple. L’esprit démocratique de l’Europe ne puise-t-il pas à cette source toujours ouverte ? Si les rois favorisent encore cet esprit, s’ils appuient les sys- tèmes qui le propagent, s’ils proscrivent les principes et les hommes qui le combattent, comment conserveront-ils leurs couronnes ? Que les colonies espagnoles passent à l’état républicain, le principe monar- chique en Europe n’en sera-t-il pas de plus en plus attaqué ? Les anciens peuples vivoient dans une espèce d’isolement les uns des autres : chaque nation, confinée à son territoire, et pour ainsi dire renfermée dans le cercle de ses lois, n’entendoit parler des nations voisines que quand le commerce ou la guerre amenoit à ses ports ou à ses frontières des marchands ou des soldats. La croix changea le monde : sur les ruines de l’ancienne société s’établit la grande famille chrétienne, qui reçut dès sa naissance tous les germes de la civilisation par la morale évangélique. Dans cette vaste communauté aucun État ne peut s’ébranler sans menacer d’en- traîner les autres dans sa ruine. Le lien maternel qui unissoit toutes les monarchies européennes étoit donc la religion. A mesure que ce lien s’est relâché, la société s’est disjointe ; et quand la révolution est venue le briser, les empires croulants ont semblé rentrer dans le chaos. Veut-on renouer ce lien salutaire ? Verrons-nous fonder des institu- tions politiques sur des bases religieuses ? Rétablira-t-on cette justice éternelle qui est elle seule toute une constitution ? Un souverain qui auroit conçu un pareil projet mériteroit les bénédictions de la terre. Quoi qu’il en soit, il faut qu’on apprenne une dernière vérité : si la France a été le foyer des doctrines qui ont troublé l’ordre social , la France néanmoins est plus près de l’ordre et du repos qu’aucune autre nation de l’Europe. La maladie est passée pour nous ; elle com- mence pour nos voisins, A l’abri de toute entreprise militaire par notre force et notre courage, nous ferions encore la loi si on avoit la pré- tention de nous la donner : ainsi, tranquilles sur notre position exté- rieure, notre position intérieure est telle que, si nous pouvons être facilement perdus, nous pouvons être encore plus facilement sauvés. Que le système ministériel tombe, avec lui disparoîlra une centaine