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seul balancer. Un discours éloquent et juste remuera bien autrement notre chambre des députés qu’un discours semblable prononcé dans la chambre des communes en Angleterre, Sous ce rapport, notre nation est si sensible qu’il est à craindre qu’elle ne soit, comme Athènes, trop soumise aux inspirations de ses orateurs.

Les mystères de l’opinion et du caractère des peuples échappent à toutes les théories et ne peuvent être soumis à aucun calcul. Observez ce qui se passe aujourd’hui dans la chambre des députés : elle est laissée entièrement à elle-même ; l’influence que les ministres y exercent se réduit à quelques politesses qui ne changent pas le sort d’un seul député. Eh bien, qu’arrive-t-il ? La majorité suit tranquillement sa conscience, louant, blâmant ce qu’elle trouve de bon ou de mauvais. Une chose se fait particulièrement remarquer : toutes les fois qu’il s’est agi d’affaires d’argent, les chambres n’ont pas hésité ; le noble désintéressement de la nation s’est montré dans toute sa franchise : ainsi la liste civile, les dettes du roi, n’ont pas rencontré d’opposition. On auroit pu croire que la loi sur les émigrés alloit échauffer les partis : au grand étonnement de tous, la chambre a été plus favorable que la loi. Les François se croient déshonorés quand on les force à s’occuper de leurs intérêts. Admirable générosité qui tient au génie d’une nation particulièrement monarchique et guerrière ! Admirable nation, si facile à conduire au bien ! Oh ! que ceux qui l’ont égarée ont été coupables !

Mais a-t-on traité d’autres sujets, les chambres se sont divisées selon les principes et les idées de chacun : l’opposition ne s’est plus formée de tels et tels individus ; elle a grossi, diminué, grossi encore, sans égard à aucun parti : on auroit cru qu’il n’y avoit pas de ministres, tant on avoit oublié que c’étoient eux qui avoient proposé la loi, pour ne s’occuper que de la loi même. Nous ne connoissons rien de plus propre à honorer le caractère national que la conduite actuelle de nos deux chambres ; on voit qu’elles ne cherchent que le bien de l’État : généreuses sur tout ce qui touche à l’honneur, attentives à nos droits politiques, elles ont voté l’argent sans opposition et défendu la liberté de la presse avec chaleur. C’est qu’en effet cette dernière question pouvoit diviser et embarrasser les meilleurs esprits. Quand on voit d’un côté Genève mettre des entraves à la liberté de la presse, et de l’autre une partie de l’Allemagne et la Belgique proclamer cette liberté, on peut croire qu’il n’étoit pas si aisé de décider péremptoirement.

Nous avons montré par les faits mêmes combien il est difficile, chez une nation brillante et animée, de maîtriser les esprits. Les François ont toujours été libres au pied du trône : nous avions placé dans nos