Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/98

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous qui commençons ce gouvernement, ne nous manque-t-il rien pour le bien conduire ? Ne vaut-il pas mieux qu’il se corrige progressivement avec nous que de devancer notre éducation et notre expérience ? Un seul article de la Charte place notre constitution au-dessus de toutes celles qui ont été jusque ici le plus admirées : nous sommes le premier peuple du monde dont l’acte constitutionnel ait aboli le droit de confiscation ; par là est à jamais tarie une source effroyable de corruption, de délation, d’injustices, de crimes. Et voilà le seul jugement que le roi ait porté sur la révolution, la seule condamnation dont il l’ait frappée !

On parle des ministres : on se fait une idée ridicule et exagérée de leur influence. D’abord ils sont responsables[1] ; et c’est déjà une chose assez menaçante pour eux que ce glaive suspendu sur leur tête. Ensuite nous avons contre leur incapacité une garantie qui tient à la nature même de nos institutions. Nous sommes à peu près sûrs que les hommes les plus distingués par leurs talents seront appelés au timon de l’État ; car un homme absolument nul ne peut occuper longtemps une première place sous un gouvernement représentatif. Attaqué par la voix publique et dans les deux chambres, il seroit bientôt obligé de descendre du poste où la seule faveur l’auroit fait monter. La nation est donc pour toujours à l’abri de ces ministres qui n’ont pour eux que l’intrigue, et dont l’impéritie a perdu plus d’États que les fautes mêmes des rois.

Soupçonner la bonne foi des ministres est absurde. Est-ce avec une nation aussi éclairée, aussi spirituelle, qu’on pourroit employer de petites ruses ? Tous les yeux seroient à l’instant ouverts. Aujourd’hui il est dans l’intérêt du gouvernement de marcher à la tête des choses, et non d’être forcé de les suivre : il n’y a donc rien à craindre de ce côté.

Quant à l’opposition, nous convenons qu’elle ne peut jamais être en France de la même nature qu’en Angleterre. Parmi nous, les fortunes ne sont pas assez grandes, le patronage des familles n’est pas assez étendu pour que l’opposition trouve en elle-même de quoi résister à l’influence ministérielle. Mais si elle n’a pas cette force d’intérêts que lui donnent ses richesses chez nos voisins, elle exerce en revanche une force d’opinion bien plus vive. Qu’un homme de talent et de probité se trouve, non par contradiction, mais par conviction, opposé aux ministres, il obtiendra dans les deux chambres et dans la France entière une prépondérance que tout le poids de la couronne pourroit

  1. Je conviens qu’ils ne le sont pas assez : il faut absolument une loi.