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tumes à l’empire de sa raison ; mais enfin ce sentiment est noble en lui-même : le heurter seroit dangereux.

De plus, il faut se souvenir que depuis soixante ans les François se sont accoutumés à penser librement sur tous les sujets : depuis vingt ans, ils ont mis en pratique toutes les théories qu’ils s’étoient plu à former. Des essais sanglants sont venus les détromper ; cependant les idées d’une indépendance légale et légitime ont survécu : elles existent partout, dans le soldat sous la tente, chez l’ouvrier dans sa boutique. Si vous voulez contrarier ces idées, les resserrer dans un cadre où elles ne peuvent plus entrer, elles feront explosion, et en éclatant causeront des bouleversements nouveaux. Il est donc nécessaire de chercher à les employer dans un ordre de choses où elles aient assez d’espace pour se placer et pour agir, et où cependant elles rencontrent une digue assez forte pour résister à leurs débordements.

C’est ce que le roi a merveilleusement senti, et c’est à quoi il a pourvu par la Charte : toutes les bases d’une liberté raisonnable y sont posées ; et les principes républicains s’y trouvent si bien combinés, qu’ils y servent à la force et à la grandeur de la monarchie.

D’une autre part, vous ne pouvez pas arracher les souvenirs, ôter aux hommes les regrets de ce passé que l’on aime et que l’on admire d’autant plus qu’il est plus loin de nous. Si vous prétendez forcer les sentiments des vieux royalistes à se soumettre aux raisonnements du jour, vous produirez une autre espèce de réaction. Il faut donc trouver un mode de gouvernement où la politique de nos pères puisse conserver ce qu’elle a de vénérable, sans contrarier le mouvement des siècles. Eh bien, la Charte présente encore cette heureuse institution : là se trouvent consacrés tous les principes de la monarchie. Elle convient donc également, cette Charte, à tous les François : les partisans du gouvernement moderne parlent au nom des lumières qui leur semblent éclairer aujourd’hui l’esprit humain ; les défenseurs des institutions antiques invoquent l’autorité de l’expérience : ceux-ci plaident la cause du passé, ceux-là l’intérêt de l’avenir. Les républicains disent : « Nous ne voulons pas retourner à la féodalité, aux superstitions du moyen âge. » Les royalistes s’écrient : « Nous ne voulons pas, de constitution en constitution, nous égarer dans de vains systèmes, abandonner ces idées morales et religieuses qui ont fait la gloire et le bonheur de nos aïeux, » Aucun de ces excès n’est à craindre dans l’espèce de monarchie rétablie par le roi : dans cette monarchie viennent se confondre les deux opinions ; l’une ou l’autre comprimée produiroit de nouveaux désastres. Les idées nouvelles donneront aux