Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/90

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si libre on retrouve tout ce qui rappelle les siècles que nous appelons de servitude, et contre lesquels nous avons tant déclamé ? C’est que nos voisins ont été plus raisonnables que nous ; c’est que pour fonder quelque chose ils se sont servis de la base qu’ils ont trouvée ; c’est qu’ils ont le bon esprit de laisser les lois caduques mourir de mort, sans hâter leur destruction par une violence dangereuse. Quelques politiques pourront prendre tout cela pour de l’esclavage ; et c’est avec cette exagération qu’on passe des excès de la démagogie à la soumission la plus lâche sous un tyran : rien de bon sans la raison.

Enfin, ce Guillaume III, ce monarque qu’on n’appela au trône d’Angleterre que sous la condition d’accepter la constitution de 1688, fut aussi roi, lui et ses successeurs, de droit divin et par la grâce de Dieu : It was observed, dit Smollet, the king who was made by the people, had it in his power to rule without them; to govern jure divino, though he was created jure humano.

« On remarqua que le roi choisi par le peuple pouvoit, s’il le vouloit, gouverner sans le peuple et régner de droit divin, quoiqu’il eût été établi de droit humain. »

Les Anglois en sont-ils moins libres aujourd’hui ? N’est-ce pas, au contraire, ce qui a affermi chez eux la liberté, en lui donnant un caractère sacré ? Ainsi les mœurs de nos pères, conservées dans de vieilles formules, dans le souvenir de notre ancien droit politique, porteront quelque chose de religieux dans les institutions nouvelles. La monarchie françoise est un arbre antique dont il faut respecter le tronc, si nous voulons greffer sur ses branches de nouveaux fruits. Cet arbre de la patrie, qui nous a donné ses fruits pendant quatorze cents ans, peut encore en nourrir d’aussi beaux, quoique d’une autre espèce, si l’on sait bien profiter de sa sève. Fût-il d’ailleurs aussi desséché qu’il est vigoureux, à l’ombre de la religion, et par la grâce de Dieu, il auroit bientôt repris sa verdure : le bâton d’Aaron refleurit dans l’Arche.

Il est fâcheux qu’une révolution si longue et si terrible ne nous ait pas mieux instruits, que nous en soyons encore à ces éléments de la politique, à nous disputer sur des mots : ayons la chose, sans nous embarrasser comment nous l’avons ; ayons une liberté monarchique et sage : peu importe que nous la tenions des mains d’un chancelier en simarre, et qu’elle parle le langage gothique des Harlay et des L’Hospital, ou plutôt il importe beaucoup qu’elle soit fille de nos mœurs, et qu’à ses traits nous reconnoissions notre sang.