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blique, et il n’a pas dû reconnoître la souveraineté du peuple : nous ne sommes point une monarchie élective, et il n’a pu revenir par voie d’élection. Si vous sortez de là, tout est confondu. Il semble toujours à certains esprits exaltés qu’un roi anéantit la loi, ou que la loi va faire disparaître le roi : loi et roi sont fort compatibles, ou plutôt c’est une et même chose, selon Cicéron et le bon sens.

C’est une chicane bien misérable encore que celle qui regarde le titre de roi de France. Les Anglois ne sont-ils pas libres ? Cependant Charles II a daté la déclaration donnée à Breda de l’an douzième de son règne, et l’on dit Roi d’Angleterre (King of England), et non pas Roi des Anglois {King of the English). Est-il plus noble d’ailleurs que le roi soit, par son titre, propriétaire des François (Roi des François), que propriétaire de la France (Roi de France) ? Ne vaudroit-il pas mieux qu’il possédât la terre que l’homme ? Car roi des François ne voudroit pas dire qu’il a été choisi, élu par eux, puisque la monarchie est héréditaire, mais qu’il en est le maître, le possesseur. Tous ces raisonnements sont, de part et d’autre, de méchantes subtilités : au fond il ne s’agit pas de tout cela. Sous la première race de nos rois, on disoit roi des Francs, rex Francorum. Pourquoi ? Parce que les Francs étoient non une nation, mais un petit peuple barbare et conquérant, presque sans lois, et surtout sans propriétés fixes : ils n’avoient donc alors qu’un général, qu’un capitaine, qu’un chef, qu’un roi, dux, rex Francorum. Sous la seconde race, le titre d’empereur se mêla à celui de roi, et n’emporta encore que l’idée d’un chef de guerre, imperator. Sous la troisième race, on commença à dire roi de France, rex Franciæ, parce qu’alors le peuple franc, par son mélange avec les Gaulois et les Romains, étoit devenu une nation attachée au sol de la France, remplaçant les lois salique, gombette et ripuaire de la première race, les capitulaires de la seconde, par l’usage du droit romain, par des coutumes écrites, recueillies vers le temps de Charles VIII[1], substituant des tribunaux sédentaires à des tribunaux errants, et marchant à grands pas vers la civilisation. Tout n’est pas dans le Contrat social ; étudions un peu l’histoire de France : nous ne serons ni si prompts à condamner ni si superbes dans nos assertions.

La formule par la grâce de Dieu se défend d’elle-même : tout est par la grâce de Dieu. Franchement, tâchons, si nous pouvons, d’être libres et heureux, et même, s’il le faut absolument, par la grâce de Dieu ! Cela est un peu dur, il est vrai ; mais enfin on n’a pas toujours

  1. La plus ancienne des coutumes recueillies est celle du Ponthieu, par ordre de Charles VIII, 1495.