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liberté d’opinions dans les deux chambres, dans les livres, dans les journaux, dans les discours, annonce que nous sommes enfin rendus à notre dignité naturelle ; on se sent en pleine jouissance de ses droits. La main sur le cœur, de quoi se plaindroit-on ? De qui et de quoi a-t-on peur ? Jamais calme fut-il plus profond après la tempête ? Les libelles que nous combattons ne sont-ils pas même la preuve de la plus entière liberté, comme de la force du gouvernement ? Tout marche sans effort, sans oppression : les étrangers sont confondus et presque jaloux de notre paix et de notre prospérité. On n’entend parler ni de police, ni de dénonciation, ni d’un acte arbitraire du pouvoir, ni d’exécution, ni de réaction publique, ni de vengeance particulière.

Les magistrats ont seuls agi quand ils ont cru voir des coupables, et cela s’est borné à l’arrestation de quelques individus remis en liberté aussitôt que l’on a reconnu qu’ils n’avoient pas outre-passé la loi. On va, on vient, on fait ce qu’on veut. N’est-on pas content ? Les chemins sont ouverts ; qu’on demande des passeports, qu’on emporte sa fortune, chacun est le maître : à peine rencontre-t-on un gendarme. Dans un pays où plus de quatre cent mille soldats ont été licenciés, il n’y a pour ainsi dire pas une porte fermée et pas un voleur de grand chemin. Les créatures, les parents de Buonaparte sont partout ; ils jouissent de la protection des lois. S’ils ont des pensions sur l’État, le roi les paye scrupuleusement. S’ils veulent sortir du royaume, rentrer, porter des lettres, en rapporter, envoyer des courriers, faire des propositions, semer des bruits et même de l’argent, s’assembler en secret, en public, menacer, répandre des libelles, en un mot, conspirer, comme nous l’avons dit ailleurs, ils le peuvent ; cela ne fait de mal à personne. Ce gouvernement de huit mois est si solide, que fît-il aujourd’hui fautes sur fautes il tiendroit encore, en dépit de ses erreurs. Le frère de Louis XVI, la famille de Louis XVI, la charte qui garantit nos libertés, ce sont là des puissances que rien ne peut ébranler. Immobile sur son trône, le roi a calmé les flots autour de lui : il n’a cédé à aucune influence, à aucune impulsion, à aucun parti. Sa patience confond, sa bonté subjugue et enchaîne, sa paix se communique à tous. Il a connu les propos que l’on a pu tenir, les petites humeurs que l’on a témoignées, les folles démarches que l’on a pu faire : tout cela s’est évanoui devant son inaltérable sérénité. Lorsque autrefois, en Allemagne, il fut frappé d’une balle à la tête, il se contenta de dire : « Une ligne plus haut, et le roi de France s’appeloit Charles X ; » et il n’en parla plus. Lorsqu’il reçut l’ordre de quitter Mittau, au milieu de l’hiver, il ne fit pas entendre une plainte. Cette magnanimité sans ostentation qui lui est particulière, ce sang-froid que rien ne peut