sentiments. Tous les exemples nobles et utiles devoient être donnés par les dignes représentants du peuple françois : un d’entre eux a fait lui-même le courageux aveu de sa faute, en s’exilant du milieu de ses collègues. Se juger ainsi, c’est ôter à jamais aux autres le droit de juger ; c’est sortir de la classe des coupables pour entrer dans celle des infortunés.
Ceux qui ont prononcé l’arrêt de Louis XVI doivent donc perdre la pensée de rattacher tous les François à leur cause. Il faut encore qu’ils ne mettent pas trop leur confiance en leur propre nombre. En effet, ne conviendroit-il pas de retrancher de ce nombre ceux qui ont voté la mort avec l’appel au peuple, ou avec une condition tendant à éloigner l’exécution ? Ceux-là avoient peut-être la pensée de sauver leur maître. Dans un pareil temps, vingt-quatre heures étoient tout ; on pouvoit croire que des votes qui présentoient un espoir de salut, sans heurter de front la fureur révolutionnaire, étoient plus propres à sauver le roi qu’un non absolu. C’est une erreur, une faiblesse ; mais qui n’a point d’erreurs, de faiblesses ? Transportons-nous à ces moments affreux ; voyons les bourreaux, les assassins remplir les tribunes, entourer la Convention, montrer du doigt, désigner au poignard quiconque refusoit de concourir à l’assassinat de Louis XVI. Les lieux publics, les places, les carrefours retentissoient de hurlements et de menaces. On avoit déjà sous les yeux l’exemple des massacres de septembre, et l’on savoit à quels excès pouvoit se porter une populace effrénée.
Il est certain encore qu’on avoit fait des préparatifs pour égorger la famille royale, une partie des députés, plusieurs milliers de proscrits, dans le cas où le roi n’eût pas été condamné. Troublé par tant de périls, un homme croit trouver un moyen de concilier tous les intérêts ; il s’imagine que par un vote évasif il sauvera la famille royale, suspendra la mort du roi et préviendra un massacre général : il saisit avidement cette fatale idée ; il prononce un vote conditionnel. Mais ses collègues ne s’y trompent pas ; ils devinent son intention, rejettent avec fureur l’appel au peuple, les conditions dilatoires, et comptent le vote pour la mort. Cet homme est-il coupable ? Oui, selon le droit ; non, peut-être, d’après l’intention. Il ne s’agit pas ici de principes rigoureux ; car dans ce cas, ceux même qui auroient voté pour la vie du roi n’en seroient pas moins criminels de lèse-majesté, comme le remarquèrent les juges anglois dans le procès des régicides. Mais nos malheurs ont été si grands, qu’ils sont sortis de toute comparaison et de toute règle. Il est aisé de dire aux jours du bonheur et de la sécurité : « J’aurois agi ainsi ; je me serois conduit comme cela. » C’est au