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l’Europe, auroit-il pu maintenir toutes les places qu’il avoit créées ? Il ne les payoit déjà plus. Pour faire taire les mécontents, il les auroit fusillés. D’ailleurs toutes les traces d’une révolution de vingt-cinq années peuvent-elles être effacées dans l’espace de six mois ? À la mort de Henri IV, il se trouva encore de vieux ligueurs qui applaudirent au parricide de Ravaillac. Il faut donc nous attendre à voir encore longtemps, et peut-être toute notre vie, les opinions des François partagées sur une foule d’objets : les uns détester ce que les autres aimeront ; ceux-ci vanter, ceux-là dénigrer le gouvernement.

Selon les constitutionnels, la constitution n’est pas assez libérale. Selon les anciens royalistes, on se seroit bien passé d’une constitution. Ne peut-on pas dire aux premiers : « S’il y a quelque chose de défectueux dans la constitution actuelle, le temps y apportera remède. La constitution angloise, objet de votre admiration, n’a pas été l’ouvrage d’un jour. Il suffit que les fondements de la liberté publique soient établis parmi nous, que le peuple soit représenté, qu’il ne puisse être imposé que du consentement de ses représentants, qu’aucun homme ne puisse être ni dépouillé, ni exilé, ni emprisonné, ni mis à mort arbitrairement. Asseyons-nous un moment sur ces grandes bases, et respirons du moins après une course si violente et si rapide. »

Ne peut-on pas dire aux derniers : « L’ancienne constitution du royaume étoit sans doute excellente ; mais pouvez-vous en réunir les éléments ? Où prendrez-vous un clergé indépendant, représentant, par ses immenses domaines, une partie considérable des propriétés de l’État ? Où trouverez-vous un corps de gentilshommes assez nombreux, assez riches, assez puissants pour former, par leurs anciens droits féodaux, par leurs terres seigneuriales, par leurs vassaux et leur patronage, par leur influence dans l’armée, un contre-poids à la couronne ? Comment rétablirez-vous ces privilèges des provinces et des villes, les pays d’états, les grands corps de magistrature qui mettoient de toutes parts des entraves à l’exercice du pouvoir absolu ? L’esprit même de ces corps dont nous parlons n’est-il pas changé ? L’égalité de l’éducation et des fortunes, l’opinion publique, l’accroissement des lumières, permettroient-ils aujourd’hui des distinctions qui choqueroient toutes les vanités ? Les institutions de nos aïeux, où l’on reconnoissoit les traces de la sainteté de notre religion, de l’honneur de notre chevalerie, de la gravité de notre magistrature, sont sans doute à jamais regrettables ; mais peut-on les faire revivre entièrement ? Permettez donc, puisqu’il faut enfin quelque chose, qu’on essaye de remplacer l’honneur du chevalier par la dignité de l’homme, et la noblesse de l’individu par la noblesse de l’espèce. En vain voudriez-vous revenir