avec un accent qu’il auroit fallu entendre : Heureux et fier ! Il a repris ensuite : J’espère que la France sera désormais assez heureuse pour n’avoir plus besoin de vos talents ; mais dans tous les cas, a-t-il ajouté en se levant avec une gaieté noble qui rappeloit le descendant de Henri IV, tout goutteux que je suis, je viendrai me mettre au milieu de vous ; et il a traversé le groupe aux cris répétés de vive le roi !
Le dîner a été servi à huit heures. Le roi, Madame, M. le prince de Condé et M. le duc de Bourbon, MM. les maréchaux et généraux, les gentilshommes de service auprès du roi, les dames de Madame, duchesse d’Angoulème, Mme de Montboissier, fille de M. Malesherbes, Mmes les duchesses de Duras, Mme la comtesse de Simiane, et quelques autres personnes de distinction, invitées par ordre de Sa Majesté, étoient à table. La foule étoit si grande dans le salon, que l’on pouvoit à peine servir. Au milieu du dîner, le roi a pris un verre de vin, et a dit à MM. les maréchaux et généraux : Messieurs, buvons à l’armée. Après le dîner, Sa Majesté est retournée dans le salon. Tout le monde vouloit se tenir debout. Le roi a fait asseoir MM. les maréchaux et généraux à sa droite. Ces braves capitaines ont paru singulièrement touchés de cette bonté du souverain : ils se rappeloient que l’étranger, sans égard pour leur âge, leurs travaux et leurs blessures, les forçoit à se tenir debout devant lui des heures entières, comme s’il eût cherché le respect dans les maux qu’il faisoit souffrir à ses serviteurs. On sait que le roi joint à l’esprit le plus remarquable la mémoire la plus étonnante ; il a donné des preuves de ces rares qualités en causant avec les personnes qui l’environnoient. En voyant marcher avec difficulté le maréchal Lefebvre, un peu tourmenté par la goutte, il lui dit : Hé bien ! maréchal, est-ce que vous êtes des nôtres ? Il a dit au maréchal Mortier : Monsieur le maréchal, lorsque nous n’étions pas amis, vous avez eu pour la reine, ma femme, des égards qu’elle ne m’a pas laissé ignorer, et je m’en souviens aujourd’hui. S’adressant au maréchal Marmont : Vous avez été blessé en Espagne, et vous avez pensé perdre un bras ? « Oui, sire, a répondu le maréchal, mais je l’ai retrouvé pour le service de Votre Majesté. » Les maréchaux Macdonald, Ney, Moncey, Sérurier, Brune, le prince de Neuchâtel, tous les généraux, toutes les personnes présentes, ont obtenu pareillement du roi les paroles les plus affectueuses ; et il n’y avoit point de cœur qui ne fût subjugué. Le roi sans armes pouvoit dire, comme on l’a dit de Henri IV, qu’il régnoit sur la France,
Et par droit de conquête et par droit de naissance.