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murs des étrangers qui l’ont respecté, en souvenir de sa gloire et de ses grands hommes. Quatre-vingt mille soldats vainqueurs ont dormi auprès de nos citoyens, sans troubler leur sommeil, sans se porter à la moindre violence, sans faire même entendre un chant de triomphe. Ce sont des libérateurs et non pas des conquérants. Honneur immortel aux souverains qui ont pu donner au monde un pareil exemple de modération dans la victoire ! Que d’injures ils avoient à venger ! Mais ils n’ont point confondu les François avec le tyran qui les opprime. Aussi ont-ils déjà recueilli le fruit de leur magnanimité. Ils ont été reçus des habitants de Paris comme s’ils avoient été nos véritables monarques, comme des princes François, comme des Bourbons. Nous les verrons bientôt les descendants de Henri IV ; Alexandre nous les a promis : il se souvient que le contrat de mariage du duc et de la duchesse d’Angoulême est déposé dans les archives de la Russie. Il nous a fidèlement gardé le dernier acte public de notre gouvernement légitime ; il l’a rapporté au trésor de nos chartes, où nous garderons à notre tour le récit de son entrée dans Paris, comme un des plus grands et des plus glorieux monuments de l’histoire.

Toutefois, ne séparons point des deux souverains qui sont aujourd’hui parmi nous cet autre souverain qui fait à la cause des rois et au repos des peuples le plus grand des sacrifices : qu’il trouve comme monarque et comme père la récompense de ses vertus dans l’attendrissement, la reconnoissance et l’admiration des François.

Et quel François aussi pourroit oublier ce qu’il doit au prince régent d’Angleterre, au noble peuple qui a tant contribué à nous affranchir ? Les drapeaux d’Élisabeth flottoient dans les armées de Henri IV ; ils reparoissent dans les bataillons qui nous rendent Louis XVIII. Nous sommes trop sensibles à la gloire pour ne pas admirer ce lord Wellington qui retrace d’une manière si frappante les vertus et les talents de notre Turenne. Ne se sent-on pas touché jusqu’aux larmes quand on le voit promettre, lors de notre retraite du Portugal, deux guinées pour chaque prisonnier françois qu’on lui amèneroit vivant ? Par la seule force morale de son caractère, plus encore que par la vigueur de la discipline militaire, il a miraculeusement suspendu, en entrant dans nos provinces, le ressentiment des Portugais et la vengeance des Espagnols : enfin, c’est sous son étendard que le premier cri de vive le roi ! a réveillé notre malheureuse patrie : au lieu d’un roi de France captif, le nouveau Prince Noir ramène à Bordeaux un roi de France délivré. Lorsque le roi Jean fut conduit à Londres, touché de la générosité d’Édouard, il s’attacha à ses vainqueurs, et revint mourir dans la terre de captivité : comme s’il eût prévu que cette terre seroit dans