Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fois rompu, des races nouvelles assises sur les trônes où elles feront régner d’autres mœurs, d’autres principes, d’autres idées, c’en est fait de l’ancienne Europe ; et dans le cours de quelques années une révolution générale aura changé la succession de tous les souverains. Les rois doivent donc prendre la défense de la maison de Bourbon, comme ils la prendroient de leur propre famille. Ce qui est vrai considéré sous les rapports de la royauté est encore vrai sous les rapports naturels. Il n’y a pas un roi en Europe qui n’ait du sang des Bourbons dans les veines, et qui ne doive voir en eux d’illustres et infortunés parents. On n’a déjà que trop appris aux peuples qu’on peut remuer les trônes. C’est aux rois à leur montrer que si les trônes peuvent être ébranlés, ils ne peuvent jamais être détruits, et que, pour le bonheur du monde, les couronnes ne dépendent pas des succès du crime et des jeux de la fortune.

Il importe encore à l’Europe civilisée que la France, qui en est comme l’âme et le cœur par son génie et par sa position, soit heureuse, florissante, paisible ; elle ne peut l’être que sous ses anciens rois. Tout autre gouvernement prolongeroit parmi nous ces convulsions qui se font sentir au bout de la terre. Les Bourbons seuls, par la majesté de leur race, par la légitimité de leurs droits, par la modération de leur caractère, offriront une garantie suffisante aux traités, et fermeront les plaies du monde.

Sous le règne des tyrans toutes les lois morales sont comme suspendues, de même qu’en Angleterre, dans les temps de trouble, on suspend l’acte sur lequel repose la liberté des citoyens. Chacun sait qu’il n’agit pas bien, qu’il marche dans une fausse voie ; mais chacun se soumet et se prête à l’oppression : on se fait même une espèce de fausse conscience, on remplit scrupuleusement les ordres les plus opposés à la justice. L’excuse est qu’il viendra de meilleurs jours, que l’on rentrera dans ses droits ; que c’est un temps d’iniquités qu’il faut passer, comme on passe un temps de malheurs. Mais en attendant ce retour, le tyran fait tout ce qui lui plaît ; il est obéi : il peut traîner tout un peuple à la guerre, l’opprimer, lui demander tout sans être refusé. Avec un prince légitime cela est impossible : tout le monde sous un sceptre légal est en jouissance de ses droits naturels et en exercice de ses vertus. Si le roi vouloit passer les bornes de son pouvoir, il trouveroit des obstacles invincibles ; tous les corps feroient des remontrances, tous les individus parleroient ; on lui opposeroit la raison, la conscience, la liberté. Voilà pourquoi Buonaparte, resté maître d’un seul village de la France, est plus à craindre pour l’Europe que les Bourbons avec la France jusqu’au Rhin.