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de séduire quelques princes, de réveiller d’anciennes jalousies, de mettre peut-être dans ses intérêts quelques peuples assez aveugles pour combattre sous ses drapeaux ? Enfin, les princes qui règnent aujourd’hui seront-ils tous sur le trône, et ce changement dans les règnes ne pourroit-il pas amener un changement dans la politique ? Des puissances si souvent trompées pourroient-elles reprendre tout à coup une sécurité qui les perdroit ? Quoi ! elles auroient oublié l’orgueil de cet aventurier qui les a traitées avec tant d’insolence, qui se vantoit d’avoir des rois dans son antichambre, qui envoyoit signifier ses ordres aux souverains, établissoit ses espions jusque dans leur cour, et disoit tout haut qu’avant dix ans sa dynastie seroit la plus ancienne de l’Europe ! Des rois traiteroient avec un homme qui leur a prodigué des outrages que ne supporteroit pas un simple particulier ! Une reine charmante faisoit l’admiration de l’Europe par sa beauté, son courage et ses vertus, et il a avancé sa mort par les plus lâches comme par les plus ignobles outrages. La sainteté des rois comme la décence m’empêchent de répéter les calomnies, les grossièretés, les ignobles plaisanteries qu’il a prodiguées tour à tour à ces rois et à ces ministres qui lui dictent aujourd’hui des lois dans son palais. Si les puissances méprisent personnellement ces outrages, elles ne peuvent ni ne doivent les mépriser pour l’intérêt et la majesté des trônes : elles doivent se faire respecter des peuples, briser enfin le glaive de l’usurpateur et déshonorer pour toujours cet abominable droit de la force, sur qui Buonaparte fondoit son orgueil et son empire.

Après ces considérations particulières, il s’en présente d’autres d’une nature plus élevée, et qui seules peuvent déterminer les puissances coalisées à ne plus reconnoître Buonaparte pour souverain.

Il importe au repos des peuples, il importe à la sûreté des couronnes, à la vie comme à la famille des souverains, qu’un homme sorti des rangs inférieurs de la société ne puisse impunément s’asseoir sur le trône de son maître, prendre place parmi les souverains légitimes, les traiter de frères, et trouver dans les révolutions qui l’ont élevé assez de force pour balancer les droits de la légitimité de la race. Si cet exemple est une fois donné au monde, aucun monarque ne peut compter sur sa couronne. Si le trône de Clovis peut être, en pleine civilisation, laissé à un Corse, tandis que les fils de saint Louis sont errants sur la terre, nul roi ne peut s’assurer aujourd’hui qu’il régnera demain. Qu’on y prenne bien garde : toutes les monarchies de l’Europe sont à peu près filles des mêmes mœurs et des mêmes temps ; tous les rois sont réellement des espèces de frères unis par la religion chrétienne et par l’antiquité des souvenirs. Ce beau et grand système