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magnifiquement obtenue. Qu’avons-nous à leur reprocher ? Le nom de Henri IV fait encore tressaillir les cœurs françois, et remplit nos yeux de larmes. Nous devons à Louis XIV la meilleure partie de notre gloire. N’avons-nous pas surnommé Louis XVI le plus honnête homme de son royaume ? Est-ce parce que nous avons tué ce bon roi que nous rejetons ce sang ? Est-ce parce que nous avons fait mourir sa sœur, sa femme et son fils, que nous repoussons sa famille ? Cette famille pleure dans l’exil, non ses malheurs, mais les nôtres. Cette jeune princesse que nous avons persécutée, que nous avons rendue orpheline, regrette tous les jours, dans les palais étrangers, les prisons de la France. Elle pouvoit recevoir la main d’un prince puissant et glorieux, mais elle préféra unir sa destinée à celle de son cousin, pauvre exilé, proscrit, parce qu’il étoit François, et qu’elle ne vouloit point se séparer des malheurs de sa famille. Le monde entier admire ses vertus ; les peuples de l’Europe la suivent quand elle paroît dans les promenades publiques, en la comblant de bénédictions : et nous nous pouvons l’oublier ! Quand elle quitta sa patrie, où elle avoit été si malheureuse, elle jeta les yeux en arrière, et elle pleura. Objets constants de ses prières et de son amour, nous savons à peine qu’elle existe. Ah ! qu’elle retrouve du moins quelques consolations en faisant le bonheur de sa coupable patrie ! Cette terre porte naturellement les lis : ils renaîtront plus beaux, arrosés du sang du roi-martyr.

Louis XVIII, qui doit régner le premier sur nous, est un prince connu par ses lumières, inaccessible aux préjugés, étranger à la vengeance. De tous les souverains qui peuvent gouverner à présent la France, c’est peut-être celui qui convient le mieux à notre position et à l’esprit du siècle, comme, de tous les hommes que nous pouvions choisir, Buonaparte étoit peut-être le moins propre à être roi. Les institutions des peuples sont l’ouvrage du temps et de l’expérience : pour régner, il faut surtout de la raison et de l’uniformité. Un prince qui n’auroit dans la tête que deux ou trois idées communes, mais utiles, seroit un souverain plus convenable à une nation qu’un aventurier extraordinaire, enfantant sans cesse de nouveaux plans, imaginant de nouvelles lois, ne croyant régner que quand il travaille à troubler les peuples, à changer, à détruire le soir ce qu’il a créé le matin. Non seulement Louis XVIII a ces idées fixes, cette modération, ce bon sens si nécessaires à un monarque, mais c’est encore un prince ami des lettres, instruit et éloquent comme plusieurs de nos rois, d’un esprit vaste et éclairé, d’un caractère ferme et philosophique.

Choisissons entre Buonaparte, qui revient à nous portant le code sanglant de la conscription, et Louis XVIII, qui s’avance pour fermer