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chaumières avant d’être parvenus à l’âge d’homme, menés avec leurs bonnets et leurs habits champêtres sur le champ de bataille, placés, comme chair à canon, dans les endroits les plus dangereux pour épuiser le feu de l’ennemi, ces infortunés, dis-je, se prenoient à pleurer, et crioient en tombant frappés par le boulet : Ah, ma mère ! ma mère ! cri déchirant qui accusoit l’âge tendre de l’enfant arraché la veille à la paix domestique ; de l’enfant tombé tout à coup des mains de sa mère dans celles de son barbare souverain ! Et pour qui tant de massacres, tant de douleurs ? Pour un abominable tyran, pour un étranger qui n’est si prodigue du sang françois que parce qu’il n’a pas une goutte de ce sang dans les veines.

Ah ! quand Louis XVI refusoit de punir quelques coupables dont la mort lui eût assuré le trône, en nous épargnant à nous-mêmes tant de malheurs ; quand il disoit : « Je ne veux pas acheter ma sûreté au prix de la vie d’un seul de mes sujets ; » quand il écrivoit dans son testament : « Je recommande à mon fils, s’il a le malheur de devenir roi, de songer qu’il se doit tout entier au bonheur de ses concitoyens, qu’il doit oublier toute haine et tout ressentiment, et nommément ce qui a rapport aux chagrins que j’éprouve ; qu’il ne peut faire le bonheur des peuples qu’en régnant suivant les lois ; » quand il prononçoit sur l’échafaud ces paroles : « François, je prie Dieu qu’il ne venge pas sur la nation le sang de vos rois qui va être répandu, » voilà le véritable roi, le roi françois, le roi légitime, le père et le chef de la patrie !

Buonaparte s’est montré trop médiocre dans l’infortune pour croire que sa prospérité fût l’ouvrage de son génie ; il n’est que le fils de notre puissance, et nous l’avons cru le fils de ses œuvres. Sa grandeur n’est venue que des forces immenses que nous lui remîmes entre les mains lors de son élévation. Il hérita de toutes les armées formées sous nos plus habiles généraux, conduites tant de fois à la victoire par tous ces grands capitaines qui ont péri, et qui périront peut-être jusqu’au dernier, victimes des fureurs et de la jalousie du tyran. Il trouva un peuple nombreux, agrandi par des conquêtes, exalté par des triomphes et par le mouvement que donnent toujours les révolutions ; il n’eut qu’à frapper du pied la terre féconde de notre patrie, et elle lui prodigua des trésors et des soldats. Les peuples qu’il attaquoit étoient lassés et désunis ; il les vainquit tour à tour, en versant sur chacun d’eux séparément les flots de la population de la France.

Lorsque Dieu envoie sur la terre les exécuteurs des châtiments célestes, tout est aplani devant eux : ils ont des succès extraordinaires avec des talents médiocres. Nés au milieu des discordes civiles, ces exterminateurs tirent leurs principales forces des maux qui les ont