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système, on fut obligé de soutenir que la France étoit révolutionnaire ; ensuite, pour n’avoir pas le démenti de ce qu’on avoit avancé, on se vit dans la nécessité de créer un parti qu’on supposa être celui de la révolution. Tel est l’enchaînement de nos vanités et de nos malheurs !

On a voulu, dites-vous, tenir la balance égale, ne placer le gouvernement à la tête d’aucun parti.

C’est d’abord une chose singulière que de regarder les royalistes comme un parti sous la royauté. Ensuite il n’est pas vrai qu’on ait tenu la balance égale. Les royalistes sont chassés ; leurs plus petites fautes sont punies avec une rigueur inflexible ; et la rébellion, les outrages aux drapeaux et au nom du roi trouvent des cœurs indulgents, excitent la pitié, la miséricorde. On s’attendrit sur le sort des conspirateurs. « Ce sont les royalistes qui les ont poussés à bout ! » On destitue les autorités qui ont réprimé des rébellions. Ce n’est pas un moyen de plaire aux champions du système, que de découvrir des complots qui en révèlent la foiblesse et en démontrent le danger.

Sous un rapport seulement on agit avec impartialité : le ministère veut bien oublier les outrages commis et les services rendus pendant les Cent Jours. Ce n’est rien d’avoir demandé aux alliés un roi quelconque à l’exclusion du roi légitime ; mais aussi ce n’est rien d’avoir été amené pieds et poings liés à Paris, pour être fusillé en qualité de commissaire du roi. Je me trompe ; ici même il n’y a pas égalité : on est amnistié pour avoir été à Gand… Je supprime l’autre terme de comparaison.

On triomphe néanmoins, parce que tout marche encore paisiblement, que les dernières conséquences de ce système sont encore cachées dans l’avenir. Les petits esprits sont dans l’exaltation et dans la joie ; mais qu’ils attendent. La révolution n’enfantera que la révolution ; pour consolider le gouvernement de droit, il ne faut pas administrer d’après les maximes du gouvernement de fait ; pour n’avoir rien à craindre autour de soi, il ne faut pas que les agents du pouvoir écartent ses véritables amis : foible et imprudente politique ! Les méchants mêmes ne croient point à la durée du bien qu’on leur fait, quand ils voient le mal qu’on fait aux honnêtes gens. Leur conscience leur crie : « Si l’on traite ainsi le bois vert, que fera-t-on du bois sec ? » On espère retrouver les royalistes dans le danger ; on compte sur leur conscience, et on a raison. Mais pourquoi ne pas aussi garder leurs cœurs ? Deux sûretés valent mieux qu’une.

En dispersant les anciens amis du trône, on achevoit de remporter sur les royalistes une victoire si utile à la royauté ; en pesant sur le grand ressort révolutionnaire, ce ressort avoit produit son effet accou-