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endroits elles se font aux cris d’à bas les prêtres ! à bas les nobles[1] ! Des collèges électoraux se séparent sans pouvoir terminer leurs opérations ; trois départements ne sont point représentés, et d’autres ne complètent que le tiers ou la moitié de leurs élections.

Déclaré d’une manière aussi furibonde et aussi inconstitutionnelle contre les royalistes, le ministère se vit dans la nécessité de les poursuivre à outrance. Il y a longtemps que Tacite a dit : On ne pardonne point l’injure qu’on a faite. Alors se multiplièrent les mesures annoncées dans La Monarchie selon la Charte. En conséquence de ces mesures, la condition des royalistes est devenue pire qu’elle ne l’a été depuis qu’on a cessé de les proscrire ; car alors, s’ils n’avoient rien, du moins étoient-ils respectés ; s’ils ne pouvoient entrer comme éléments dans le gouvernement usurpateur, du moins on estimoit leur caractère, leur constance, leur opinion même ; on se fioit à leur probité, on comptoit sur leur parole. Aujourd’hui quel rôle jouent-ils ? Ils sont restés nus comme ils l’étoient sous Buonaparte ; mais ils n’ont plus ce qu’ils avoient, la considération pour supporter le présent, l’espérance pour attendre l’avenir. Qu’avant la restauration ils subissent le joug, c’étoit une conséquence inévitable de leur position ; aujourd’hui la chose est-elle aussi naturelle ? Haïs comme des vainqueurs, dépouillés comme des vaincus, ils s’entendent dire : « IN’êtes-vous pas contents ? N’avez-vous pas le gouvernement que vous appeliez de tous vos vœux, pour lequel vous avez tout sacrifié ? » D’autres les poursuivent avec l’ancien cri des assassinats, en appelant sur eux la proscription comme nobles, comme méditant l’envahissement des propriétés nationales. Et pourtant les acquéreurs de biens d’émigrés cultivent en paix leurs champs au milieu même de la vendée : immortel exemple de l’obéissance aux lois et de la religion du serment chez les royalistes !

Ce sont de tels hommes que l’on condamne à rester sous la 

tutelle ministérielle, dont on met l’honneur en surveillance, et qui sont inquiétés comme suspects de fidélité : il est vrai, ils peuvent être recherchés pour ce crime.

Non content de les traiter avec tant de sévérité, on les livre encore à la moquerie publique : on essaye de les faire passer pour des imbéciles tombés dans une espèce d’enfance[2]. Si Montesquieu avoit vécu

  1. « Un ministre a dit à la chambre des députés qu’il*n ’avoit point eu connoissance qu’on eût exprimé dans les collèges électoraux de 1816 ce vœu : Nous ne voulons point de nobles. Avoit-ii donc oublié mon Rapport en date du 7 octobre ?» {Mémoire de M. de Curzay.)
  2. On a répondu, dans La Monarchie selon la Charte, à ce ridicule reproche d’incapacité fait aux royalistes. Il y a des gens qui prennent la probité pour de la bêtise.