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éternellement la gloire d’avoir interdit l’armement en course, d’avoir la première rétabli sur mer ce droit de propriété respecté dans toutes les guerres sur terre par les nations civilisées, et dont la violation dans le droit maritime est un reste de la piraterie des temps barbares.

Avant notre entrée en Espagne, il s’agissoit de savoir si nous existions ou si nous n’existions pas ; si nous avions ou non une armée ; si cette armée étoit fidèle, quand on faisoit tout pour la corrompre ; si nous pouvions sans danger réunir quelques bataillons au drapeau. Force étoit de sortir de ce doute qui avoit pénétré dans les meilleurs esprits, par la constance des calomniateurs à le répandre ; il étoit impossible de rien établir dans un pareil état d’incertitude. Une occasion naturelle de trancher la question s’est présentée : il a fallu défendre la France de la contagion morale des troubles de l’Espagne. L’expérience a été faite, et le même événement qui nous a délivrés du retour de la révolution a prouvé que la légitimité a des soldats.

Parmi les circonstances qui signalent cet événement extraordinaire, il en est une que nous voulons particulièrement remarquer pour les intérêts politiques de notre pays. C’est la première fois, depuis le commencement de la monarchie, que la France a fait la guerre sous un gouvernement constitutionnel régulièrement organisé, et en présence de la liberté de la presse ! Que de personnes disoient à l’ouverture de la campagne qu’il seroit impossible de marcher sans suspendre les libertés publiques ! Qu’on se figure en effet ce que seroient devenues les opérations militaires de Buonaparte si une opposition active avoit pu en attaquer les succès, en exagérer les revers. Et nous, au sortir d’une révolution de trente années ; et nous, en proie à l’esprit de parti ; et nous, menacés par une faction qui se sentoit attaquée au cœur par la guerre d’Espagne, nous avons osé entreprendre cette guerre sans condamner l’opinion au silence !

Quoi ! la première fois que le drapeau blanc reparoissoit sur le champ de bataille, avec une armée dont on avoit intérêt à calomnier la fidélité, on a eu la témérité de laisser la presse libre, lorsqu’on avoit une loi qui permettoit de la suspendre ! N’étoit-il pas évident, comme cela en effet est arrivé, qu’on alloit dénaturer les faits, nier les victoires, inventer des défaites, blâmer les plans, calomnier les intentions, juger les généraux, flétrir le principe même d’une guerre juste, et se faire le champion des ennemis ? Eh bien, le roi légitime s’est senti assez fort pour braver ces dangers ; il n’avoit pas de conscription à demander, de projets ambitieux à cacher ; il étoit obligé de recourir aux armes pour soutenir les droits de la monarchie : cela peut se dire tout haut, aucune loi d’exception n’étoit nécessaire. La