Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/291

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dernier asile ? par quelle dérision ceux qui ont su toute leur vie, sans y attacher aucune importance, qu’ils étoient hors de l’Église catholique, veulent-ils y rentrer après leur mort ? S’ils ont cru à la puissance de l’anathème, il est trop tard pour la réconciliation ; s’ils n’y ont pas cru, ils n’ont donc voulu produire que du scandale ? Si, comme autrefois, les registres des naissances, des mariages et des décès étoient tenus par les curés des diverses paroisses ; si, comme autrefois encore, ces curés étoient les maîtres de refuser l’inhumation en terre sainte, on pourroit dire que l’excommunication trouble l’état civil, en empêchant un citoyen d’être inscrit sur le rôle des morts et de reposer auprès d’eux ; mais il n’en est pas ainsi, puisque tous les actes publics se font aux municipalités, et que la puissance temporelle est séparée de la puissance spirituelle. Qui empêchoit Mlle Raucourt de se faire porter en pompe au cimetière, environnée de ses amis et de tous ceux qui attachoient quelque prix à ses talents ? Qu’auroient demandé de plus les admirateurs de Molière ? Voltaire, au lieu de déplorer le sort de Mlle Le Couvreur, n’auroit-il pas chanté la tolérance du siècle qui eût accordé à cette actrice de pareilles funérailles ?

Et regardons encore à quel point l’Église gallicane pousse la douceur et la charité : que faut-il à un comédien pour que ses cendres soient reçues dans l’église ? Il suffit qu’un domestique, un témoin, affirment que le moribond avant d’expirer a demandé les secours d’un prêtre. Lorsqu’on a négligé de donner ces légères marques de respect au culte antique de la patrie, à la religion de tant de grands hommes, sied-il bien de venir lui demander les dernières prières qu’elle offre pour le repos de ses enfants ? Mais en même temps quel aveu de l’insuffisance de l’homme pour consoler les cendres de l’homme ! Vainement nous avons paru mépriser la religion dans notre passage sur la terre, il s’élève de notre cercueil une voix qui réclame ses espérances et ses bénédictions.