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toute militaire, qui en sentira la justesse. Un curé est seul maître dans son église, comme un officier au poste qu’on lui a confié ; nul n’a le droit de venir lui imposer des lois qu’il ne peut pas reconnoître. Eh ! combien est-on plus coupable encore si on mêle à la violence qu’on lui fait le scandale public, l’insulte au culte de la patrie et la profanation des autels !

Mais les comédiens, dit-on, jouissent de tous les droits de citoyens : ils peuvent parvenir à toutes les places, ils sont enrôlés dans la garde nationale, etc. C’est précisément ce qui rendroit leur cause moins favorable, si leurs amis, par une ignorance fâcheuse, ou par un zèle inconsidéré, continuoient à se porter pour eux à des excès qui n’ont point d’excuse. Il ne s’agit plus pour les acteurs de réclamer les lois générales de l’État, de constater leur existence civile : ils en sont en pleine possession. De quoi s’agit-il donc ? De droits purement religieux. Or, une religion a ses rites, ses usages, dont elle ne peut se départir. On ne force personne à suivre cette religion : on est chrétien ou on ne l’est pas ; voilà tout : cela ne change rien à la condition civile d’un homme. Mais si l’on se prétend, par exemple, catholique, apostolique et romain, n’est-ce pas le curé qui est juge naturel de cette prétention ? N’est-ce pas lui qui sait, d’après les règles de son culte, si la personne qui se présente a conservé ou perdu la qualité d’enfant de l’Église ?

Ajoutez que le droit de citoyens étant rendu aux acteurs, le curé ne peut plus être taxé d’inhumanité quand il refuse son ministère à leurs funérailles : car ce refus n’emporte plus la privation de la sépulture commune. Le curé ne fait que rentrer dans ses droits naturels : c’est une coutume de toutes les religions de la terre de n’accorder leurs honneurs funèbres qu’à leurs disciples. Le corps d’un chrétien mort à Constantinople seroit-il reçu dans une mosquée ? Un ministre protestant, à Philadelphie, ne renverroit-il pas le corps d’un catholique à son curé, celui d’un presbytérien à son église, celui d’un quaker à ses frères, celui d’un juif à sa synagogue ? Vous voulez qu’un curé enterre un homme qui n’avoit pas vécu dans la communion catholique : mais si le curé prétendoit s’emparer à son tour du corps d’un citoyen qui n’auroit pas voulu mourir sous la loi chrétienne, ne crieriez-vous pas au fanatisme, à l’intolérance ? N’avons-nous pas vu des prêtres repoussés du lit d’un mourant avec mépris, et des moribonds préférer aux paroles consolantes de l’homme de Dieu les stériles pompes d’un nouveau paganisme ? Accordez donc au prêtre la même indépendance que vous réclamez pour vous-mêmes : si vous n’êtes point forcés de l’appeler à votre dernier soupir, pourquoi seroit-il obligé de veiller à votre