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Des préjugés si cruels chez le peuple, des lois si dures, émanées du sénat et des empereurs romains, nous montrent assez que cette prévention contre le théâtre ne doit point être attribuée uniquement à ce qu’on affecte d’appeler la barbarie du christianisme : elle prend naturellement sa source dans la morale et dans la gravité des lois. L’opinion de l’Église sur les spectacles n’est pas plus sévère que celle de Tacite et de Sénèque. Ovide, et son autorité n’est pas suspecte, exhorte Auguste à supprimer les théâtres, comme une école de corruption :

.....Ludi quoque semina præbent
Nequitiæ : tolli theatra jube.

Dans la patrie même de Sophocle, dans ces heureux climats où les Muses firent éclater leurs prodiges, les femmes ne paroissoient point sur la scène et n’assistoient point aux jeux du théâtre.

L’Église ne fit donc que suivre le penchant des lois lorsque, dans les premiers siècles, déterminée par les raisons que nous avons déjà déduites, elle lança ses foudres contre les spectacles. Ceux-ci s’abolirent par degrés dans le monde romain, à mesure qu’il se convertit au christianisme et qu’il passa sous la domination des barbares. Tandis que le bruit de ces jeux trop célèbres se perdoit dans le bruit de la chute des empires, il est curieux de voir ces mêmes jeux renaître obscurément parmi ces Francs, ces Huns, ces Vandales, qui venoient de les détruire : tant le cœur humain est toujours le même, tant l’homme a besoin de ces plaisirs qui le consolent un moment ! Clovis, dans les dernières années de sa vie, rassasié de victoires et de conquêtes, entretenoit auprès de lui un mime que lui avoit envoyé Théodoric : c’est à ce mime du premier roi des François qu’il faut aller, à travers les siècles, rattacher la nouvelle pompe de nos spectacles. Tout le monde connoît l’histoire et l’origine de notre théâtre : tout le monde sait que les Mystères joués par les confrères de la Passion furent les avant-coureurs de Cinna et d’Athalie.

Mais pourquoi l’Église auroit-elle montré plus d’indulgence pour ces nouveaux spectacles ? La religion y étoit profanée, les mœurs outragées, la satire poussée jusqu’à la calomnie. Enfin, quand notre scène s’épura, l’Église, toujours scrupuleuse lorsqu’il s’agit de la conservation des mœurs, ne vit pas de raisons suffisantes pour renoncer à ses souvenirs, pour abandonner ses traditions et ses lois. Bossuet, Bourdaloue, Fléchier, continuèrent à condamner le théâtre avec toute l’autorité de leur éloquence et de leur génie. L’auteur des Oraisons funèbres ne dédaigna pas de prendre la plume pour réfuter une Apo-