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tous leur nom de quelque divinité du paganisme : les jeux de Bacchus Libériaux, Apollinaires, Céréaux, Neptunaux, Floraux, Olympiens. Le Cirque étoit consacré, ou plutôt, comme le dit ce premier Bossuet, étoit prostitué au Soleil. Les théâtres s’élevoient sous l’invocation de Bacchus et de Vénus. Aujourd’hui les dieux n’étant plus pour nous que les fictions ingénieuses d’Homère, nous ne pouvons nous faire une idée de l’horreur qu’ils inspiroient à l’Église, lorsqu’ils étoient adorés comme des êtres réels, protecteurs des passions et des crimes, comme de véritables démons persécuteurs des chrétiens.

La prostitution et le meurtre souilloient encore ces spectacles, que l’idolâtrie rendoit déjà abominables aux yeux des fidèles. Des femmes publiques paroissoient sur le théâtre aux fêtes de Flore ; et ces malheureuses, dit encore Tertullien, étoient, du moins une fois l’an, condamnées à rougir. À l’amphithéâtre, que voyoit-on ? Les combats des gladiateurs ou les souffrances des martyrs ! « Chrétiens, s’écrie l’auteur de l’Apologétique, demandez-vous des luttes, des combats, des victoires ? Le christianisme vous en offre de toutes parts. Voyez l’impureté vaincue par la chasteté, la perfidie par la foi, la cruauté par la miséricorde, l’impudence par la modestie : c’est dans ces jeux qu’il faut mériter des couronnes. Voulez-vous du sang répandu ? Vous avez celui de Jésus-Christ. »

Si les spectacles furent si justement proscrits par les premiers chrétiens, il étoit tout simple que l’acteur demeurât frappé de l’anathème dont la pièce étoit atteinte. En cela même les fidèles ne s’écartèrent point de l’usage des païens. À Rome les comédiens, les bouffons, les cavaliers du Cirque, les gladiateurs, étoient exclus de la cour, du barreau, du sénat, de l’ordre des chevaliers et de toutes les charges publiques ; ils perdoient le droit de citoyen. Une loi des empereurs Valentinien, Valence et Gratien, permet aux évêques de conférer le baptême à un comédien en danger de mort ; elle ordonne de plus que si ce comédien baptisé revient à la vie, il ne sera point forcé de suivre son ancienne profession. Une autre loi contraint les comédiennes à demeurer au théâtre, à moins qu’elles n’aient embrassé le christianisme. Mais la même loi, renouvelée quelque temps après, ajoute que si ces femmes devenues chrétiennes, et dispensées par cette raison de jouer devant le public, continuent de vivre dans le désordre, on les obligera de reparoître sur la scène. Quelle condamnation du théâtre et quel éloge de la religion ! La profession d’acteur étoit donc si peu estimée des Romains qu’elle devenoit comme le partage exclusif de quelques familles, dotées par la loi de ce brillant, mais malheureux héritage.