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troisième côté sera gravé le Testament de Louis XVI, où on lira en plus gros caractères cette ligne évangélique :

JE PARDONNE DE TOUT MON CŒUR À CEUX QUI SE SONT FAITS MES ENNEMIS.

La quatrième face portera l’écusson de France avec cette inscription : Louis XVIII à Louis XVI. Les François solliciteront sans doute l’honneur d’unir au nom de Louis XVIII le nom de la France, qui ne peut jamais être séparée de son roi.

Ce monument sera aussi touchant qu’admirable. Un autel funèbre au milieu de la place Louis XV n’eût été convenable sous aucun rapport. Cette place est une espèce de grand chemin où la foule passe pour courir à ses plaisirs ou pour étaler ses vanités. Dans les distractions naturelles à la foiblesse de nos cœurs, les accents de la joie auroient trop souvent profané un monument de douleur. Non, aucun François ne sera obligé de détourner ses pas ou ses regards du monument projeté : les uns y trouveront dans le Testament de Louis XVI l’origine et la confirmation de l’article de notre Charte qui les met à l’abri de toutes recherches ; les autres y recueilleront ces souvenirs qui dépouillés par le temps de leur amertume ne laissent au fond de l’âme qu’un attendrissement religieux. Le roi, qui jusqu’à présent n’a osé fouler le champ du sang, pourra peut-être y passer un jour, sinon sans tristesse, du moins sans horreur, tandis que le juge de Louis XVI, à l’abri du monument de miséricorde, pourra lui-même traverser cette place, sinon sans remords, du moins sans crainte. Enfin, ce monument expiatoire deviendra pour tous les François une source de consolations : nos enfants y puiseront à l’avenir ces graves leçons, ces utiles pensées qui forment dans tous les temps et dans tous les pays les grands peuples et les grands hommes.

Ce monument ne sera pas le seul consacré au malheur et au repentir. On élèvera une chapelle sur le terrain du cimetière de la Madeleine. Du côté de la rue d’Anjou, elle représentera un tombeau antique ; l’entrée en sera placée dans une nouvelle rue que l’on percera lors de l’établissement de cette chapelle. Pour mieux envelopper les différentes sépultures, l’édifice entier se déploiera en forme d’une croix latine, éclairée par un dôme qui n’y laissera pénétrer qu’une clarté religieuse. Dans toutes les parties du monument on placera des autels où chacun ira pleurer une mère, un frère, une sœur, une épouse, enfin toutes ces victimes, compagnes fidèles, qui pendant vingt ans ont dormi auprès de leur maître dans ce cimetière aban-