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ce que toute l’Europe attendoit : notre douleur, si longtemps comprimée, va enfin sortir du fond de notre âme ; le roi vient encore pour ainsi dire au-devant du besoin de nos cœurs ; il va satisfaire à la piété de son peuple, nous rendre aux idées morales et religieuses, comme de sa paisible main il nous a soustraits au despotisme et rangés sous l’empire de nos antiques lois.

Le 21 janvier Monsieur, Mgr le duc d’Angoulême, Mgr le duc de Berry, se rendront au cimetière de la Madeleine, appartenant aujourd’hui à M. Descloseaux. Le terrain a été légalement reconnu ; on s’est assuré d’avance du lieu où repose le corps du roi ; on croit pouvoir aussi retrouver les cendres de la reine. Par un hasard touchant, les Suisses tués à la journée du 10 août sont enterrés aux pieds de Louis XVI. La fosse où notre monarque fut jeté avoit dix pieds de profondeur. On n’a pas voulu remuer la terre avant le moment de l’exhumation. Rien ne doit être secret dans cet acte saint : toute la France a vu mourir son roi, toute la France doit voir reparoître au même moment sa dépouille mortelle. Ah ! que ne sentiront point les spectateurs quand la terre enlevée laissera voir les os blanchis de Louis XVI, son tronc mutilé, sa tête déplacée et déposée à l’autre extrémité de son corps, signe auquel on doit reconnoître le descendant de tant de rois ! Se représente-t-on bien les trois princes tombant à genoux avec le clergé dans ce moment redoutable, la religion entonnant son hymne de paix et de gloire, les reliques du martyr sortant triomphantes du sein de la terre pour protéger désormais notre patrie et attirer par leur intercession la bénédiction du ciel sur tous les François !

Les restes sacrés du roi étant retrouvés ainsi que les cendres de la reine, le cortège se mettra aussitôt en route pour Saint-Denis. Les malheurs de Louis XVI feront toute la magnificence de cette pompe funèbre. La modestie convient au triomphe de tant de vertus, et la simplicité à la grandeur de tant d’infortunes. Les passions humaines ne doivent point troubler le calme et la majesté de cette cérémonie. Tout ce qui accuse en sera banni ; on n’y verra que ce qui console : le père de famille en retrouvant son tombeau veut que tous ses enfants ensevelissent dans ce tombeau leurs dissensions et leurs inimitiés.

Le convoi suivra la route que prit, il y a six siècles, celui de saint Louis, premier aïeul des Bourbons. « Et leva, dit Joinville, le saint corps l’archevêque de Rheims, et après qu’il fut levé, frère Jehan de Seymours le prêcha. Et entre autres de ses faits rameuta souvent une chose que je lui avois dicte du bon roi : c’estoit de sa grande loyauté… Quand le sermon fut fini, ajoutent les chroniques, le roi (Philippe le