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LE
VINGT-UN JANVIER
MIL HUIT CENT QUINZE.


Le 21 janvier approche. On se demande depuis longtemps : Que ferons-nous ? Que fera la France ? Laissera-t-on passer encore ce jour de douleur sans aucune marque de regret ? Où sont les cendres de Louis XVI ? Quelle main les a recueillies ? Sans la pitié d’un obscur citoyen, à peine sauroit-on aujourd’hui où repose la sainte dépouille de ce roi qui devoit dormir à Saint-Denis auprès de Louis XII et de Charles le Sage. Pendant quelques années on a voulu que le jour de la mort de ce juste fût un jour de réjouissance ; mais combien les factions s’aveugloient ! Tandis qu’elles prétendoient soulever le crêpe funèbre qui couvroit notre patrie, tandis qu’elles ordonnoient des pompes dérisoires, les citoyens multiplioient les marques de leur douleur ; chacun pleuroit dans la solitude, ou faisoit célébrer en secret le sacrifice expiatoire. En vain quelques hommes appeloient la foule à d’abominables spectacles ; la tristesse publique sembloit leur dire : Non, la France n’est point coupable avec vous ; elle ne prend aucune part à vos crimes et à vos fêtes.

Louis XVI dès le commencement de son règne avoit aboli les corvées, amélioré les branches de l’administration, relevé sur la mer la gloire de nos armes, et fait retentir nos victoires sur les côtes de l’Inde et de l’Amérique. Au milieu des orages de la révolution, malgré la chaleur des partis, on fut si persuadé de ses vertus, qu’on le nomma d’une commune voix le plus honnête homme de son royaume. Abreuvé d’amertume, accablé d’outrages, on l’amena à Paris, précédé de la tête de quelques-uns de ses gardes ; on l’y réduisit à vivre dans les fers, à languir dans la douleur. Mais ce n’est point devant la famille royale qu’il convient d’achever le récit de telles adversités.