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contre la puissance d’un parti qui, ne daignant même pas prendre la peine de dissimuler ses intentions, les manifeste par des choix d’hommes, des actes publics et des coups d’autorité. Mais, encore une fois, que les bons François se soutiennent les uns les autres, qu’ils ne soient point abattus, si l’on crée autour d’eux une défaveur momentanée, une opinion factice. S’ils lisent dans les journaux de grands articles à la louange de la dissolution de la chambre, qu’ils se rappellent que la presse n’est pas libre, qu’elle est entre les mains des ministres, que ce sont les ministres qui ont fait dissoudre la chambre et qui font les journaux. S’ils remarquent la hausse des fonds, qu’ils sachent que le jour où l’ordonnance du 5 fut publiée, on fit faire un mouvement à la Bourse. Un agioteur osa s’écrier : « Les brigands ne reviendront plus ! » Il parloit des députés.

Ce n’est pas à des François que je prêcherai le désintéressement. Je ne leur dirai rien des places que l’on pourra leur promettre. Mais qu’ils se mettent en garde contre une séduction à laquelle il nous est si difficile d’échapper ! On leur parlera du roi, de sa volonté, comme on en parloit aux chambres. Les entrailles françoises seront émues, les larmes viendront aux yeux ; au nom du roi on ôtera son chapeau, on prendra le billet présenté par une main ennemie, et on le mettra dans l’urne. Défiez-vous du piège. N’écoutez point ces hommes qui dans leur langage seront plus royalistes que vous : sauvez le roi ! quand même.

Et que veut d’ailleurs le roi ? S’il étoit permis de pénétrer dans les secrets de sa haute sagesse, ne pourroit-on pas présumer qu’en laissant constitutionnellement toute liberté d’action et d’opinion à ses ministres responsables, il a porté ses regards plus loin qu’eux ? On a souvent admiré, dans les affaires les plus difficiles, la perspicacité de sa vue et la profondeur de ses pensées. Il a peut-être jugé que la France satisfaite lui renverroit ces mêmes députés dont il étoit si satisfait ; que l’on auroit une chambre nouvelle aussi royaliste que la dernière, bien que convoquée sur d’autres principes, et qu’alors il n’y auroit plus moyen de nier la véritable opinion de la France.

Voilà ce que j’avois à dire à mes concitoyens, à ceux qui pourroient ignorer ce qui se passe et laisser surprendre leur foi. Je ne fais point porter cet écrit par des messagers secrets ; je le publie à la face du soleil. Je n’ai aucune puissance pour favoriser mes intrigues, hors celle que je tire de ma conscience et de mon amour pour mon roi. Grâce à Dieu, je n’ai encore manqué aucune occasion quand il s’est agi du sang ou des intérêts de mes maîtres.

François, si ma voix ne vous est point étrangère, si je vous fis quel-