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en année un nouveau mode d’élections ? Qui m’assure que les ministres de l’année prochaine ne trouveront pas encore la représentation de cette année trop nombreuse ? Une centaine de leurs commis (toujours légalement assemblés) ne leur paroîtront-ils pas former une chambre plus convenable et plus dans les intérêts de la France ? On s’en tiendra désormais à la Charte, me dira-t-on : Dieu le veuille ! c’est tout ce que je demande. Mais je ne suis pas du tout tranquille. En vertu de l’article 14 de la Charte, qui donne au roi le pouvoir de faire les règlements et ordonnances nécessaires pour l’exécution des lois et la sûreté de l’État, les ministres ne pourront-ils pas voir la sûreté de l’État partout où ils verront le triomphe de leurs systèmes ? Il y a tant de constitutionnels qui veulent gouverner aujourd’hui avec des ordonnances, qu’il est possible qu’un beau matin toute la Charte soit confisquée au profit de l’article 14.

Il est dur de voir toujours remettre en question le sort de notre malheureuse patrie : on joue encore notre destinée sur une carte ; on frappe le crédit public, que toute secousse alarme et resserre ; on donne à nos institutions une instabilité effrayante, et par la contradiction des ordonnances on compromettroit la majesté du trône, si le sceptre n’étoit aux mains d’un de ces rois qui d’un seul regard rétablissent l’ordre autour d’eux, et dont le caractère est la sagesse, le calme et la dignité même.

Que sortira-t-il de ces élections où les passions peuvent être émues, où les partis vont se trouver en présence ? Fatale prévoyance ! Je disois à la chambre des pairs, au sujet de la loi des élections, dans la séance du 3 avril : « Une ordonnance, messieurs, a pu suffire au commencement de la présente session, parce qu’il y avoit force majeure, parce que les événements commandoient ces mesures extraordinaires que l’article 14 de la Charte autorise dans les temps de dangers. Mais aujourd’hui, quelle nécessité si violente justifieroit un pareil coup d’État ?… Vous sentez-vous assez de courage, messieurs, pour prendre sur votre responsabilité tout ce qui peut arriver dans l’intervalle d’une session à l’autre, dans le cas où vous repousseriez la loi d’élection ? Ah ! si, par une fatalité inexplicable, les collèges, de nouveau convoqués, alloient nommer des députés dangereux pour la France, quels reproches ne vous feriez-vous point ? Pourriez-vous entendre le cri de douleur de votre patrie ? Pourriez-vous ne pas craindre le jugement de la postérité ? »

Ce discours, que je tenois aux pairs de France, je l’adresse aujourd’hui aux ministres ; qu’ils voient la consternation des honnêtes gens, le triomphe des révolutionnaires, et je les fais juges eux-mêmes de ce