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le manuscrit au feu. Quel que soit le succès de cet ouvrage, je le compterai au moins au nombre des bonnes actions de ma vie. Fais ce que tu dois, arrive ce que pourra. Pour avertir la France, qui me paroît en péril, pour la réveiller au bord de l’abîme, il m’a fallu ne rien calculer. J’ai été obligé de tout dire, de heurter de front bien des hommes, de froisser une multitude d’intérêts. J’ai cru voir le salut de la patrie, comme je le disois à la chambre des pairs, dans l’union des anciennes mœurs et des formes politiques actuelles, du bon sens de nos pères et des lumières du siècle, de la vieille gloire de Du Guesclin et de la nouvelle gloire de Moreau ; enfin dans l’alliance de la religion et de la liberté fondée sur les lois : si c’est là une chimère, les cœurs nobles ne me la reprocheront pas.

POST-SCRIPTUM.

La chambre des députés est dissoute. Cela ne m’étonne point ; c’est le système des intérêts révolutionnaires qui marche : je n’ai donc rien à changer à cet écrit. J’avois prévu le dénoûment, et je l’ai plusieurs fois annoncé. Cette mesure ministérielle sauvera, dit-on, la monarchie légitime. Dissoudre la seule assemblée qui depuis 1789 ait manifesté des sentiments purement royalistes, c’est, à mon avis, une étrange manière de sauver la monarchie !

On a vu, aux chap. iv, v et vi de la Ire partie la doctrine constitutionnelle sur les ordonnances dans la monarchie représentative. Sous l’ancien régime une ordonnance du roi était une loi, et personne n’avoit le droit de la discuter. Dans notre nouvelle constitution, une ordonnance n’est forcément qu’une mesure des ministres : tout citoyen a donc le droit de l’examiner ; et ce qui est un droit pour chaque citoyen est un devoir pour les pairs et pour les députés. Si une ordonnance mettoit la France en péril, les chambres pourroient en accuser les ministres. Ceux-ci sont donc les véritables auteurs de ces ordonnances, puisqu’ils peuvent être poursuivis pour ces ordonnances.

Je vais donc, conformément à la raison et aux principes constitutionnels, examiner sans scrupule l’ordonnance du 5 septembre.

D’abord il eût été mieux de ne faire précéder cette ordonnance par aucun considérant. Le roi dissout la chambre, parce qu’il en a le droit, parce qu’il le veut. Souverain maître et seigneur, il ne doit compte de ses raisons à personne : quand il parle seul, tout doit obéir avec joie dans un profond et respectueux silence. On court aux élections parce qu’il l’ordonne ; et quand il dit à ses sujets : Je veux, la