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l’autre, ou dissoute par le roi. Le temps fait-il monter sur le trône un prince ennemi de la liberté publique, les chambres préviennent l’invasion de la tyrannie. Quel gouvernement peut imposer des taxes plus pesantes, lever un plus grand nombre de soldats ? Les lettres et les arts fleurissent particulièrement sons cette monarchie : qu’un roi meure dans un empire despotique, les travaux qu’il a commencés sont interrompus. Avec des chambres toujours vivantes, sans cesse renouvelées, rien n’est jamais abandonné. Elles ressemblent sous ce rapport à ces grands corps religieux et littéraires qui ne mouroient point, et qui amenoient à terme les immenses ouvrages que des particuliers n’auroient jamais pu entreprendre, encore moins perfectionner et finir.

Chaque homme trouve sa place naturelle dans cette sorte de gouvernement, qui emploie nécessairement les talents et les lumières, qui sait se servir de tous les rangs comme de tous les âges.

En France, autrefois, que devenoient la plupart des hommes lorsqu’ils avoient atteint l’âge destiné à recueillir les fruits que la jeunesse a promis[1] ? Que leur restoit-il à faire dans la plénitude do leurs ans, alors qu’ils jouissoient de toutes les facultés de leur esprit ? À charge aux autres et à eux-mêmes, dépouillés de ces passions qui animent la jeunesse, ou de ces avantages qui la font rechercher, ils vieillissoient dans une garnison, dans un tribunal, dans les antichambres de la cour, dans les sociétés de Paris, dans le coin d’un vieux château, oisifs par état, soufferts plutôt que désirés, n’ayant pour toute occupation que l’historiette de la ville, la séance académique, le succès de la pièce nouvelle, et pour les grands jours la chute d’un ministre. Tout cela étoit bien peu digne d’un homme. N’étoit-il pas assez dur de ne servir à rien dans l’âge où l’on est propre à tout ? Aujourd’hui les mâles occupations qui remplissoient l’existence d’un Romain, et qui rendent la carrière d’un Anglois si belle, s’offriront à nous de toutes parts. Nous ne perdrons plus le milieu et la fin de notre vie ; nous serons des hommes quand nous aurons cessé d’être jeunes gens. Nous nous consolerons de n’avoir plus les illusions du premier âge, en cherchant à devenir des citoyens illustres : on n’a rien à craindre du temps quand on peut être rajeuni par la gloire.

Telles sont les considérations qu’il est à propos de présenter aux hommes de probité et de vertu, qui, déjà repoussés par votre ingratitude et vos faux systèmes, n’auroient encore pour nos institutions nouvelles que de l’éloignement et du dégoût. Hâtons-nous de les

  1. Cic., de Senect.