fidèle ; la France entière devient l’empire du mensonge : journaux, pamphlets, discours, prose et vers, tout déguise la vérité. S’il a fait de la pluie, on assure qu’il a fait du soleil ; si le tyran s’est promené au milieu du peuple muet, il s’est avancé, dit-on, au milieu des acclamations de la foule. Le but unique, c’est le prince : la morale consiste à se dévouer à ses caprices, le devoir à le louer. Il faut surtout se récrier d’admiration lorsqu’il a fait une faute ou commis un crime. Les gens de lettres sont forcés par des menaces à célébrer le despote. Ils composoient, ils capituloient sur le degré de la louange : heureux quand, au prix de quelques lieux communs sur la gloire des armes, ils avoient acheté le droit de pousser quelques soupirs, de dénoncer quelques crimes, de rappeler quelques vérités proscrites ! Aucun livre ne pouvoit paroître sans être marqué de l’éloge de Buonaparte, comme du timbre de l’esclavage ; dans les nouvelles éditions des anciens auteurs, la censure faisoit retrancher tous les passages contre les conquérants, la servitude et la tyrannie, comme le Directoire avoit eu dessein de faire corriger dans les mêmes auteurs tout ce qui parloit de la monarchie et des rois. Les almanachs étoient examinés avec soin ; et la conscription forma un article de foi dans le catéchisme. Dans les arts, même servitude : Buonaparte empoisonne les pestiférés de Jaffa ; on fait un tableau qui le représente touchant, par excès de courage et d’humanité, ces mêmes pestiférés. Ce n’étoit pas ainsi que saint Louis guérissoit les malades qu’une confiance touchante et religieuse présentoit à ses mains royales. Au reste, ne parlez point d’opinion publique : la maxime est que le souverain doit en disposer chaque matin. Il y avoit à la police perfectionnée par Buonaparte un comité chargé de donner la direction aux esprits, et à la tête de ce comité un directeur de l’opinion publique. L’imposture et le silence étoient les deux grands moyens employés pour tenir le peuple dans l’erreur. Si vos enfants meurent sur le champ de bataille, croyez-vous qu’on fasse assez de cas de vous pour vous dire ce qu’ils sont devenus ? On vous taira les événements les plus importants à la patrie, à l’Europe, au monde entier. Les ennemis sont à Meaux : vous ne l’apprenez que par la fuite des gens de la campagne ; on vous enveloppe de ténèbres ; on se joue de vos inquiétudes ; on rit de vos douleurs ; on méprise ce que vous pouvez sentir et penser. Vous voulez élever la voix, un espion vous dénonce, un gendarme vous arrête, une commission militaire vous juge : on vous casse la tête, et on vous oublie.
Ce n’étoit pas tout d’enchaîner les pères, il falloit encore disposer des enfants. On a vu des mères accourir des extrémités de l’empire et venir réclamer, en fondant en larmes, les fils que le gouvernement