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magnanimes pour intervenir dans les affaires particulières de la France. Ils ont adopté cette haute politique de Burke : « La France, dit ce grand homme d’État, doit être conquise et rétablie par elle-même, en la laissant à sa propre dignité. Il seroit peu honorable, il seroit peu décent, il seroit encore moins politique pour les puissances étrangères, de se mêler des petits détails de son administration intérieure, dans lesquels elles ne pourroient se montrer qu’ignorantes, incapables et oppressives[1]. » Les alliés ont eux-mêmes délivré leur propre pays du joug des François ; ils savent que les nations doivent jouir de cette indépendance qu’on peut leur arracher un moment, mais qu’elles finissent toujours par reconquérir : spolialis arma supersunt. Si, lors même que notre roi n’étoit pas encore rentré dans sa patrie, les monarques de l’Europe ont eu la générosité de déclarer qu’ils ne s’immisceroient en rien dans le gouvernement intérieur de la France, nous persuadera-t-on aujourd’hui qu’ils veulent s’en mêler ? Nous persuadera-t-on qu’ils s’alarment de ces débats, qui sont de la nature même du gouvernement représentatif ? qu’ils ont trouvé mauvais que nous ayons discuté l’existence de la cour des comptes et l’inamovibilité des juges ? qu’ils vont s’armer parce que nos députés veulent rendre quelque splendeur à des autels arrosés du sang de tant de martyrs, ou parce qu’ils ont cru devoir éloigner les assassins de Louis XVI ? N’est-ce pas insulter ces grands monarques que de nous les représenter accourant au secours d’un spoliateur ou d’un régicide, faisant marcher leurs soldats pour soutenir un receveur d’impôts qui chancelle ou un ministre qui tombe ?

L’Europe n’a pas moins d’intérêt que les vrais François à défendre la cause de la religion et de la légitimité : elle doit voir avec plaisir le zèle de nos députés à repousser les doctrines funestes qui l’ont mise à deux doigts de sa perte. Quand nos tribunes retentissoient de blasphèmes contre Dieu et contre les rois, les rois, justement épouvantés, ont pris les armes : vont-ils aujourd’hui marcher contre ceux qui font des efforts pour ramener les peuples à la crainte de Dieu et à l’amour des rois ? Qui a fait la guerre à l’Europe ? qui l’a ravagée ? qui a insulté tous les princes ? qui a ébranlé tous les trônes ? Ne sont-ce pas les hommes que les royalistes combattent ? Certes, si, par la permission de la divine providence, on voyoit aujourd’hui les princes de la terre soutenir les auteurs de tous leurs maux ; s’ils prêtoient la main à la destruction des autels, au renversement de la morale et de la justice, de la véritable liberté et de la royauté légitime, il faudroit reconnoître

  1. Remarks on the Policy of the Allies with respect to France, p. 146. Octobre 1793.