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riez pas de honte lorsque vous proclamiez pendant la session qu’un ambassadeur vouloit absolument que le projet du ministère passât, que la proposition des chambres fût rejetée. Vous voulez que je vous croie, quand vous venez me dire aujourd’hui (ce qui n’est sûrement qu’une odieuse calomnie) qu’un ministre françois a passé trois heures avec un ministre étranger pour aviser au moyen de dissoudre la chambre des députés ! Vous racontez confidemment qu’on a communiqué une ordonnance à un agent diplomatique, et qu’il l’a fort approuvée : et ce sont là des sujets d’exaltation et de triomphe pour vous ! Quel est le plus François de nous deux, de vous qui m’entretenez des étrangers quand vous me parlez des lois de ma patrie, de moi qui ai dit à la chambre des pairs les paroles que je répète ici : « Je dois sans doute au sang françois qui coule dans mes veines cette impatience que j’éprouve quand pour déterminer mon suffrage on me parle d’opinions placées hors de ma patrie ; et si l’Europe civilisée vouloit m’imposer la Charte, j’irois vivre à Constantinople. »

Ainsi la faction a mis les royalistes dans cette position critique : s’ils veulent combattre le système des intérêts révolutionnaires, on les menace de l’Europe pour les forcer au silence ; si cette menace leur ferme la bouche, on fait marcher en paix le système destructeur, et avec lui la conspiration contre la légitimité.

Eh bien ! ce sera moi qui, à mes risques et périls, élèverai la voix ; moi qui signalerai cette abominable intrigue du parti qui veut notre perte. Et comment les mauvais François qui soutiennent leurs sentiments par une si lâche ressource ne s’aperçoivent-ils pas qu’ils vont directement contre leur but ? Ils connoissent bien peu l’esprit de la nation. S’il étoit vrai qu’il y eût du danger dans les opinions royalistes, vous verriez par cette raison même toute la France s’y précipiter : un François passe toujours du côté du péril, parce qu’il est sûr d’y trouver la gloire.

Au reste, faut-il s’étonner que des hommes qui ont été offrir la couronne des Bourbons à quiconque vouloit la prendre, qui demandoient, selon leur expression, une pique et un bonnet de cosaque plutôt qu’un descendant de Henri IV, faut-il s’étonner que leur politique ressemble à leurs affections ? Comprendroient-ils que ce n’est pas en se mettant sous les pieds d’un maître qu’on se fait respecter ; qu’une conduite noble est sans danger ? Tenez fidèlement vos traités ; payez ce que vous devez ; donnez, s’il le faut, votre dernier écu ; vendez votre dernier morceau de terre, la dernière dépouille de vos enfants, pour payer les dettes de l’État ; le reste est à vous ; vous êtes nus, mais vous êtes libres.

Éloignons de vaines terreurs : les princes de l’Europe sont trop