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chance, il y a tout à gagner pour lui : avec des modérés de cette nature, on peut tout détruire ; avec un ministère à soi, on arrive également à tout. Bientôt ces libéraux qui poussent à l’arbitraire, feroient un crime à la couronne de cet arbitraire qu’ils conseillent.

Je frémis en déroulant un plan si bien ordonné, et dont le résultat est infaillible, à moins qu’on ne se hâte d’y apporter remède. Qui ne seroit inquiet en voyant une armée qui manœuvre si bien, qui mine, attaque, envahit, fait usage de toutes les armes, enrôle les ambitieux et séduit les foibles, qui se donne les honneurs d’une opinion indépendante, en prêchant l’autorité absolue ; faction pourtant sans talents réels, mais douée d’astuce ; faction lâche, poltronne, facile à écraser, que l’on peut faire rentrer en terre d’un seul mot, mais qui, lorsqu’elle aura tout gangrené, tout corrompu, lorsqu’il n’y aura plus de danger pour elle, lèvera subitement la tête, arrachera sa couronne de lis, et prenant le bonnet rouge pour diadème, offrira cette pourpre à l’illégitimité ?

Mais comment pouvez-vous croire, me dira-t-on, que tels et tels hommes, si connus par leurs sentiments royalistes, par leurs actions même, par leur caractère moral et religieux, parce qu’ils sont dans un système politique contraire au vôtre, entrent dans une conjuration contre les Bourbons ?

Cette objection est grande pour ceux qui n’y regardent pas de près et qui jugent sur les dehors ; la réponse est facile.

Celui-ci donc a servi le roi toute sa vie ; mais il est ambitieux, il n’a point de fortune, il a besoin de places, il a vu la faveur aller à une certaine opinion, et il s’est jeté de ce côté. Celui-là avoit été irréprochable jusqu’aux Cent Jours ; mais pendant les Cent Jours il a été foible, et dès lors il est devenu irréconciliable ; on punit les autres de la faute qu’on a faite, surtout quand cette faute décèle autant le manque de jugement que la foiblesse du caractère ; les grands intérêts sont moins ennemis des Bourbons que les petites vanités.

Tel pendant les Cent Jours a été héroïque, mais depuis les Cent Jours son orgueil a été blessé, une querelle particulière l’a fait passer sous les drapeaux qu’il a combattus. Tel est religieux, mais on lui a persuadé qu’en parlant à présent des intérêts de l’Église on manquoit de prudence, et qu’on nuisoit à ces intérêts par trop de précipitation. Tel chérit la monarchie légitime, mais abhorre la noblesse et n’aime pas les prêtres. Tel est attaché aux Bourbons, les a servis, les serviroit encore : mais il veut aussi la liberté, les résultats politiques de la révolution, et il s’est mis ridiculement en tête que les royalistes veulent détruire la liberté et revenir sur tout ce qui a été fait. Tel pour-