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mères ne vouent, pas facilement leurs fils au mépris et à la pauvreté : la partie est donc sûre, si elle est jouée avec persévérance. Je ne sais si la patience appartient à l’enfer comme au ciel, à cause de son éternité ; mais je sais que dans ce monde elle est donnée au méchant. La destruction physique et matérielle du culte est certaine en France, pourvu que les ennemis secrets de la légitimité, tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre, parviennent à tenir le clergé dans l’état d’abjection où il est maintenant plongé.

Au milieu de ses enfants massacrés, sur le champ de bataille où elle est tombée, en défendant le trône de saint Louis, la religion blessée étend encore ses mains défaillantes pour parer les coups qu’on porte au roi ; mais ceux qui l’ont renversée sont attentifs, et toutes les fois qu’elle fait un effort pour se relever, ils frappent un coup pour l’abattre. Un prélat vénérable avoit obtenu la direction des affaires religieuses ; la distribution du pain des martyrs n’étoit plus confiée à ceux qui l’ont pétri avec l’ivraie, et qui ne vendent pas même à bon poids ce pain amer. On a forcé un ministre honorable de remettre les choses telles et pires qu’elles étoient sous Buonaparte : le prêtre est rentré sous l’autorité du laïque, et la religion est venue se replacer sous la surveillance du siècle.

Lorsqu’un vicaire veut toucher le mois échu de sa pension, il faut qu’il présente un certificat de vie au maire du lieu ; celui-ci en écrit au sous-préfet, qui s’adresse à son tour au préfet, dont la prudence en peut référer au chef de division de l’intérieur chargé de la direction des cultes : le chef peut en parler au ministre. Enfin, cette grande affaire mûrement examinée, on compte 12 liv. 10 s. sur quittance à l’homme qui console les affligés, partage son denier avec les pauvres, soulage les infirmes, exhorte les mourants, donne la sépulture aux morts, prie pour ses ennemis, pour la France et pour le roi.

Quelques biens ecclésiastiques étoient aliénés sans contrat légal ; on les a découverts : on a craint que leurs détenteurs ne trouvassent le moyen de les rendre aux églises ; vite, on s’est hâté de rappeler les biens aux domaines.

Ce n’est pas assez d’empêcher le prêtre de vivre, il faut encore lui ôter, s’il est possible, toute considération aux yeux des peuples. Ce qu’on n’avoit pas vu sous le règne des athées, on a trouvé piquant de le montrer sous le règne du roi très-chrétien : un prêtre a été cité, comme un criminel, à comparoître au tribunal de la police correctionnelle ; il y est venu, en soutane et en rabat, s’asseoir sur les bancs des prostituées et des filous. Le peuple a été étonné, et la cause a cessé d’être publique.