Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la conscription au prix d’une partie de sa fortune ; qu’il a été errant, persécuté, emprisonné, pour ne pas prêter son bras à l’usurpateur ; qu’il n’a jamais fait un serment, accepté une place ; qu’il s’est conservé pur et sans tache pour son roi ; qu’il l’a accompagné dans sa dernière retraite, au risque de s’exposer avec lui à un exil éternel : ce sont là autant de motifs d’exclusion. « Il n’a pas servi, nous répondra-t-on froidement ; il ne sait rien. » Mais il sait l’honneur. Pauvre principe ! le siècle est plus avancé que cela.

Mais venez : proposez, pour vous dédommager de ce refus, un homme qui aura tout accepté, depuis la haute dignité de porte-manteau jusqu’à la place de marmiton impérial : parlez ; que voulez-vous ? Choisissez dans la magistrature, l’administration, l’armée : cent témoins vont déposer en faveur de votre client ; ils attesteront qu’ils l’ont vu veiller dans les antichambres avec un courage extraordinaire. Il ne veut qu’une décoration ; c’est trop juste. Vite un chevalier pour lui donner l’accolade ; attachez à sa boutonnière la croix de Saint-Louis : c’est un homme prudent, il la mettra dans sa poche en temps et lieu.

Celui-là étoit facile à placer, j’en conviens : il étoit sans tache. Mais vous hésitez à présenter celui-ci. Il a foulé sa croix de Saint-Louis aux pieds pendant les Cent Jours. Bagatelle, excès d’énergie : ce caractère bouillant est un vin généreux que le temps adoucira.

Un homme pendant les Cent Jours a été l’écrivain des charniers de la police ; faites-lui une pension : il faut encourager les talents. Un autre est venu à Gand, au péril de sa vie, proposer au roi de l’argent et des soldats ; il sollicite une petite place dans son village : donnez cette place au douanier qui tira sur cet ultra-royaliste lorsqu’il passoit à la frontière.

Vous n’avez pas obtenu la nomination de ce juge ? Mais ne saviez-vous pas qu’elle étoit promise à un prêtre marié ? Un ci-devant préfet avoit prévariqué : un rapport étoit prêt ; on arrête ce rapport, et pourquoi ? « Ne voyez-vous pas, répond-on, que le rapport vous empêcheroit de placer cet homme ? »

Où sont vos certificats ? dit-on au meilleur royaliste qui sollicite humblement la plus petite place. Il y a vingt-cinq ans qu’il souffre pour le roi ; il a tout perdu, sa famille et sa fortune. Il a des recommandations des princes, de cette princesse, peut-être, dont la moindre parole est un oracle pour quiconque reconnoît la puissance de la vertu, de l’héroïsme et du malheur. Ces titres ne sont pas jugés suffisants. Arrive un Buonapartiste ; les fronts se dérident ; ses papiers étoient à la police ; il les a perdus lors du renvoi de M. Fouché. C’est un mal-