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jours dans ce monde ce qu’elle entreprend tourne à sa ruine. Un royaliste est assimilé à un jacobin, et, par une équité bien digne du siècle, la justice consiste à tenir la balance égale entre le crime et l’innocence, entre l’infamie et l’honneur, entre la trahison et la fidélité.

CHAPITRE XLII.
SUITE DU PRÉCÉDENT.

Le dévouement est l’objet éternel des plaisanteries de ces hommes qui ne craindroient pas le supplice inventé par les anciens peuples de la Germanie pour les infâmes : on les enseveliroit dans la boue, qu’ils y vivroient comme dans leur élément. Le voyage de Gand est appelé par eux le voyage sentimental. Ce bon mot est sorti du cerveau de quelques commis, qui, toujours fidèles à leur place, ont servi avant, pendant et après les Cent Jours ; de ces honnêtes employés, bien payés aujourd’hui par le roi, qui ont applaudi de tout leur cœur au voyageur sentimental de l’île d’Elbe, et qui attendent son retour de Sainte-Hélène.

Allez proposer un soldat de l’armée de Condé à ces loyaux administrateurs : « Nous ne voulons, répondent-ils, que des hommes qui ont envoyé des balles au nez des alliés. » J’aimerois autant ceux qui ont envoyé des balles au nez des Buonapartistes.

On met sur la même ligne La Rochejaquelein, tombant en criant vive le roi ! dans les mêmes champs arrosés du sang de son illustre frère, et l’officier mort à Waterloo en blasphémant le nom des Bourbons. On donne la croix d’Honneur au soldat qui combattit à cette journée ; et le volontaire royal qui quitta tout pour suivre son roi n’a pas même le petit ruban qu’on promit à Alost à sa touchante fidélité. Ainsi, tandis qu’on exécute les décrets de Buonaparte, datés des Tuileries au mois de mai 1815, on ne reconnoît point les ordonnances du roi signées à Gand dans le même mois. On paye l’officier à demi-solde, chevalier de la Légion d’Honneur, et l’on fait fort bien ; mais le chevalier de Saint-Louis, courbé par les ans, est à l’aumône : trop heureux ce dernier quand on lui achète une méchante redingote pour couvrir sa nudité, ou quand on lui donne un billet avec lequel il pourra du moins faire panser par les filles de la Charité de vieilles blessures méprisées comme la vieille monarchie. Enfin, c’est une sottise, une faute, un crime, de n’avoir pas servi Buonaparte. N’allez pas dire, si vous voulez placer ce jeune homme, qu’il s’est racheté de