Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une révolution, préparée par la corruption des mœurs et par les égarements de l’esprit, éclate parmi nous. Au nom des lois on renverse la religion et la morale ; on renonce à l’expérience et aux coutumes de nos pères ; on brise les tombeaux des aïeux, base sacrée de tout gouvernement durable, pour fonder sur une raison incertaine une société sans passé et sans avenir. Errant dans nos propres folies, ayant perdu toute idée claire du juste et de l’injuste, du bien et du mal, nous parcourûmes les diverses formes des constitutions républicaines. Nous appelâmes la populace à délibérer au milieu des rues de Paris sur les grands objets que le peuple romain venoit discuter au Forum après avoir déposé ses armes et s’être baigné dans les flots du Tibre. Alors sortirent de leurs repaires tous ces rois demi-nus, salis et abrutis par l’indigence, enlaidis et mutilés par leurs travaux, n’ayant pour toute vertu que l’insolence de la misère et l’orgueil des haillons. La patrie, tombée en de pareilles mains, fut bientôt couverte de plaies. Que nous resta-t-il de nos fureurs et de nos chimères ? Des crimes et des chaînes !

Mais du moins le but que l’on sembloit se proposer alors étoit noble. La liberté ne doit point être accusée des forfaits que l’on commit sous son nom ; la vraie philosophie n’est point la mère des doctrines empoisonnées que répandent les faux sages. Éclairés par l’expérience, nous sentîmes enfin que le gouvernement monarchique étoit le seul qui pût convenir à notre patrie.

Il eût été naturel de rappeler nos princes légitimes ; mais nous crûmes nos fautes trop grandes pour être pardonnées. Nous ne songeâmes pas que le cœur d’un fils de saint Louis est un trésor inépuisable de miséricorde. Les uns craignoient pour leur vie, les autres pour leurs richesses. Surtout, il en coûtoit trop à l’orgueil humain d’avouer qu’il s’étoit trompé. Quoi ! tant de massacres, de bouleversements, de malheurs, pour revenir au point d’où l’on étoit parti ! Les passions encore émues, les prétentions de toutes les espèces, ne pouvoient renoncer à cette égalité chimérique, cause principale de nos maux. De grandes raisons nous poussoient ; de petites raisons nous retinrent : la félicité publique fut sacrifiée à l’intérêt personnel, et la justice à la vanité.

Il fallut donc songer à établir un chef suprême qui fût l’enfant de la révolution, un chef en qui la loi, corrompue dans sa source, protégeât la corruption et fît alliance avec elle. Des magistrats, intègres, fermes et courageux, des capitaines renommés par leur probité autant que pour leurs talents, s’étoient formés au milieu de nos discordes ; mais on ne leur offrit point un pouvoir que leurs principes leur auroient