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tion d’un gouvernement représentatif, incapable de concevoir une vraie liberté, aigri contre une sorte d’opposition que les principes constitutionnels font naître à chaque pas, manquant de force ou d’adresse pour conduire les choses et se sentant entraîné par elles, on finit par ne vouloir plus les gouverner. Alors on s’en prend à tout ce qui n’est pas soi, à la nature des institutions, aux corps, aux individus, du mécompte qu’on éprouve, et, croyant faire une excellente critique de ce que l’on a, lorsqu’on ne fait que montrer sa foiblesse, on laisse périr la France au nom de la Charte.

C’est ce qui arriva au premier ministère. Il ne demanda aucune loi répressive, hors la mauvaise loi contre la liberté de la presse ; il ne songea à se garantir d’aucun danger, et lorsqu’on lui disoit de prendre telle ou telle mesure, il répondoit : La Charte s’y oppose. Le ministère se divisa et s’affoiblit encore par cette division.

On vit éclore dans la majorité du ministère cette opinion développée depuis dans l’école, que les chambres ne sont qu’un conseil assemblé par le roi, qu’il n’y a point de gouvernement représentatif, que toutes ces comparaisons de la France et de l’Angleterre sont ridicules, qu’on peut très-bien se passer de lois et gouverner avec des ordonnances.

Les buonapartistes s’arrangèrent parfaitement de ce commentaire de la Charte : il étoit au moins impolitique, par conséquent il pouvoit amener une catastrophe, et ils ne demandoient pas mieux. Si cette application des principes constitutionnels ne produisoit pas une crise, elle conduisoit au despotisme, et, malgré leur premier amour pour la liberté, le despotisme est fort du goût de nos fiers républicains. Ainsi tout étoit à merveille.

Quand on a assez de lumières pour s’apercevoir qu’on se trompe et trop de vanité pour en convenir, au lieu de retourner en arrière, on s’enfonce dans ses propres erreurs. C’est la marche et la consolation de l’orgueil. L’esprit du ministère s’exaspéra. Lorsqu’on alloit se plaindre d’un mauvais choix ou proposer un royaliste, on répondoit : « Nous irions chercher partout un buonapartiste habile pour le placer, s’il vouloit l’être. » Les buonapartistes n’ont pas manqué, et Buonaparte est revenu. Peu à peu il fut reconnu qu’aucun homme n’avoit de talent s’il n’avoit servi la révolution ; et cette doctrine, transmise soigneusement de ministère en ministère, est devenue aujourd’hui un article de foi.

Et pourtant la majorité du ministère qui fonda cette doctrine comptoit parmi ses membres d’excellents royalistes connus par leurs généreux efforts contre la révolution, des hommes d’une conduite pure, d’un caractère désintéressé, et qui n’avoient fléchi le genou devant