Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourquoi n’avoir pas pris les choses telles qu’elles étoient, un sénat passif, un corps législatif muet ? Et voilà comment, par une inconséquence funeste, on veut et on ne veut pas ce que l’on a.

Sait-on ce qui arrivera si nous ne sommes pas plus décidés dans nos vœux, pas plus d’accord avec nous-mêmes ? Ou nous détruirons la constitution (et Dieu sait ce qui en résultera), ou nous serons emportés par elle : prenons-y garde, car dans l’état actuel des choses, elle est probablement plus forte que nous.

CHAPITRE VIII.
CONTRE LA PROPOSITION SECRÈTE DE LA LOI.

Proposition secrète de la loi : idée fausse et contradictoire, élément hétérogène dont il faudra se débarrasser. La proposition secrète de la loi ne peut même jamais être si secrète qu’elle ne parvienne au public défigurée : l’initiative franche est de la nature du gouvernement représentatif. Dans ce gouvernement tout doit être connu, porté au tribunal de l’opinion. Si la discussion aux chambres devient orageuse, cinq membres, en se réunissant, peuvent, aux termes de l’article 44 de la Charte, faire évacuer les tribunes. On conserveroit donc, par l’initiative, les avantages du secret sans perdre ceux de la publicité ; il n’y a donc rien à gagner à préférer la proposition à l’initiative. C’est vouloir se procurer par un moyen ce qu’on obtient déjà par un autre ; c’est compliquer les ressorts, pour se donner ce qu’on peut avoir par un procédé simple et naturel.

L’initiative accordée aux chambres fera disparoître en outre ces définitions de principes généraux, qui cette année ont entravé la discussion de chacune de nos lois. On n’entendroit plus parler aussi de l’éternelle doctrine des amendements. Le bon sens veut que les chambres admises à la confection des lois aient le droit de proposer dans ces lois tous les changements qui leur semblent utiles (excepté pour le budget, comme je vais le dire). Vouloir fixer des bornes au droit d’amendement ; trouver le point mathématique où l’amendement finit, où la proposition de loi commence ; savoir exactement quand cet amendement empiète, quand il n’empiète pas sur la prérogative, c’est se perdre dans une métaphysique politique, sans rivages et sans fond.

Permettez l’initiative aux chambres : que la loi, si vous le voulez, puisse être également proposée par le gouvernement, mais sans ordon-