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cette responsabilité tombe sur la tête même des enfants lorsqu’ils ont atteint l’âge de douze ans.

Nous passons, sire, à l’arrêté dont nous avons parlé plus haut. Le lieutenant de police du troisième arrondissement a pris, à Nantes, le 15 mai, cet arrêté, dont le considérant et les dispositions sont également remarquables. Attribuant l’agitation des départements de l’ouest aux ex-nobles, il désire, dit-il, ôter tout prétexte à la calomnie, et fournir à ces ex-nobles les moyens de se justifier. En conséquence, l’arrêté porte que tous les gentilshommes des douze départements formant le troisième arrondissement de la police seront tenus de se rendre, dans le délai de dix jours, auprès du préfet de leur département. Si le préfet juge que leur conduite passée n’offre pas de garantie suffisante, il les enverra en surveillance dans une commune de l’intérieur ; et dans le cas où ils ne se présenteroient pas devant le préfet, on leur appliquera le premier article du décret du 9 mai.

Le ministre de la police de France avoit dit, dans son rapport, qu’il ne proposeroit pas à Buonaparte d’excéder les bornes de son pouvoir constitutionnel ; et voilà qu’un simple lieutenant de police porte un arrêt d’exil, de confiscation et de mort contre un ordre entier de citoyens qui ne sont pas même compris dans le décret du 9 mai ! C’est là ce qu’on appelle se renfermer dans les bornes du pouvoir constitutionnel ! Malgré ce que nous avons vu depuis vingt-cinq ans, on est toujours confondu d’un abus de mots si scandaleux, d’entendre toujours attester la liberté pour établir l’esclavage, la constitution pour sanctionner l’arbitraire, et les lois pour proscrire.

Afin de punir la fidélité, la loyauté et l’honneur, il étoit impossible d’invoquer et d’inventer des lois plus monstrueuses. En lisant la circulaire du ministre de la justice, on croit relire cette loi des suspects qui semble l’expression de toutes les terreurs que la tyrannie éprouve et de toutes les vengeances qu’elle médite. Un ministre de la justice invite des juges à se défendre d’une imprudente pitié pour des délits qui, de son aveu même, appellent plutôt l’indulgence que la rigueur ; il ose dire qu’il ne faut pas absoudre ou condamner un homme sur le fait dont on l’accuse, parce que ce fait peut n’offrir en lui-même rien de répréhensible ; mais il veut que l’on prononce sur l’ensemble des circonstances, c’est-à-dire, en d’autres termes, qu’on peut traîner un homme à l’échafaud, selon l’opinion qu’il plaira aux juges de supposer à cet homme. Sire, où en seroient aujourd’hui vos ennemis, si vous aviez fait usage contre eux des principes qu’ils mettent en avant pour persécuter vos sujets ? Nous ne proposerons point à Votre Majesté d’adopter de pareils principes : ils sont contraires à ses vertus et à