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gion comme un frein utile aux peuples. Je n’explique point l’Évangile au profit du despotisme, mais au profit du malheur.

« Si je n’étois pas chrétien, je ne me donnerois pas la peine de le paroître : toute contrainte me pèse, tout masque m’étouffe ; à la seconde phrase, mon caractère l’emporteroit et je me trahirois. J’attache trop peu d’importance à la vie pour m’amuser à la parer d’un mensonge.

« Se conformer en tout à l’esprit d’élévation et de douceur de l’Évangile, marcher avec le temps, soutenir la liberté par l’autorité de la religion, prêcher l’obéissance à la Charte comme la soumission au roi, faire entendre du haut de la chaire des paroles de compassion pour ceux qui souffrent, quels que soient leur pays et leur culte, réchauffer la foi par l’ardeur de la charité, voilà, selon moi, ce qui pouvoit rendre au clergé la puissance légitime qu’il doit obtenir : par le chemin opposé, sa ruine est certaine. La société ne peut se soutenir qu’en s’appuyant sur l’autel ; mais les ornements de l’autel doivent changer selon les siècles et en raison des progrès de l’esprit humain. Si le sanctuaire de la Divinité est beau à l’ombre, il est encore plus beau à la lumière : la croix est l’étendard de la civilisation.

« Je ne redeviendrai incrédule que quand on m’aura démontré que le christianisme est incompatible avec la liberté ; alors je cesserai de regarder comme véritable une religion opposée à la dignité de l’homme. Comment pourrois-je le croire émané du ciel, un culte qui étoufferoit les sentiments nobles et généreux, qui rapetisseroit les âmes, qui couperoit les ailes du génie, qui maudiroit les lumières au lieu d’en faire un moyen de plus pour s’élever à la contemplation des œuvres de Dieu ? Quelle que fût ma douleur, il faudroit bien reconnoître malgré moi que je me repaissois de chimères : j’approcherois avec horreur de cette tombe où j’avois espéré trouver le repos, et non le néant.

« Mais tel n’est point le caractère de la vraie religion ; le christianisme porte pour moi deux preuves manifestes de sa céleste origine : par sa morale, il tend à nous délivrer des passions ; par sa politique, il abolit l’esclavage. C’est donc une religion de liberté : c’est la mienne. »

Pourroit-on croire que dans ces pages où je déclare que j’irois demain, pour ma foi, d’un pas ferme à l’échafaud, que je ne démens pas une syllabe de ce que j’ai écrit dans le Génie du Christianisme, pourroit-on croire que des hommes charitables aient trouvé contre moi une accusation de philosophisme ?

— Comment cela ? — Eh ! n’avez-vous pas remarqué cette abominable manifestation de l’erreur ? J’appartiens à la communion générale, naturelle et publique