Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/158

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette situation : Convaincu, dit-il, de la position où il (Buonaparte) a placé la France, et de l’impossibilité où il se trouve de la sauver lui-même, il a paru se résigner et consentir à l’abdication entière et sans aucune restriction.

Dans quel abîme, en effet, n’avoit-il pas précipité la France !

Lors des conventions du 23 avril 1814, quelques esprits prévenus, oubliant notre position, ne parurent pas les approuver dans toutes leurs parties ; elles rendoient, disoient-ils, aux alliés, sans conditions, les places de l’Allemagne, encore occupées par nos troupes. Quoi ! Paris, Bordeaux, Toulouse, Lyon, ne valent pas Dantzig, Hambourg, Torgau, Anvers ! C’étoit rendre ces dernières villes sans conditions, que d’en faire l’objet d’un pareil échange, que d’obtenir à ce prix la retraite des alliés ! À l’époque du 23 avril 1814, les alliés occupoient la France depuis les Pyrénées occidentales jusqu’à la Gironde, depuis les Alpes jusqu’au Rhône, depuis le Rhin jusqu’à la Loire ; quarante départements, c’est-à-dire près de la moitié du royaume, étoient envahis ; cent mille prisonniers, répartis dans les provinces où les alliés n’avoient pas encore pénétré, menaçoient de se joindre à leurs compatriotes ; quatre cent mille étrangers sur le sol de la patrie, les réserves des Russes, des Autrichiens, des Prussiens, des Allemands prêtes à passer le Rhin, les Suédois et les Danois venant grossir cette inondation d’ennemis, telle étoit la position de la France. Chaque jour on voyoit tomber quelques-unes des places que nous tenions encore sur l’Oder, le Weser, l’Elbe et la Vistule ; et les landwehr, qui avoient formé le blocus de ces places, prenoient aussitôt la route de notre malheureux pays. Au milieu de tant de calamités présentes, de tant de craintes pour l’avenir, que pouvoit exiger le gouvernement provisoire ? Quelle force auroit-il opposée aux alliés, s’il avoit plutôt consulté l’ambition que la justice, ou si les alliés avoient préféré leur agrandissement à leur sûreté ? L’armée n’avoit point encore vu à sa tête le prince noble dépositaire des pouvoirs du roi ; et trop séduite par les prestiges de la gloire, on peut juger à présent qu’elle eût été moins fidèle à ses devoirs qu’à ses souvenirs ; désorganisée, découragée par la retraite honteuse de Buonaparte, eût-elle essayé, sous les ordres de son nouveau chef, de renouveler des combats qu’elle étoit déjà lasse de soutenir sous son ancien général ? Aux premiers signes de mésintelligence, les alliés, occupant la capitale et la moitié du royaume, se seroient emparés des caisses publiques, auroient levé l’impôt à leur profit, frappé de contributions les villages et les villes, et enlevé au gouvernement toutes ses ressources. Ils auroient appelé leurs nouvelles armées d’au delà du Rhin, des Alpes et des Pyrénées ;